Obaix, septembre 1944

La retraite des allemands et la libération par les américains

Récit de Marie-Louise Piret, épouse de François Meurs

 

Peu avant la libération, l’Armée Blanche a abattu une allemande (1) qui vivait à la Haute-Bise, dans la première des trois petites maisons. Elle aurait travaillé avec la petite kommandantur qui se trouvait à Luttre.

Le samedi 3 septembre, dans la nuit, nous avons été réveillés par le garde-champêtre : il fallait loger des officiers allemands et abriter les charriots dans la grange pour les rendre invisibles.

Les officiers ont visité toutes les chambres, mais elles étaient toutes occupées. J’étais restée au lit avec Paul, qui avait moins d’un an, et l’officier a dit, en le voyant : “Moi aussi … un petit…”. Rien d’autre, mais il était remué. Ils n’ont pas deviné l’existence de la chambre qui était derrière la nôtre : la porte était camouflée par un rideau, et je plaçais mon armoire lavabo, avec la grande glace, devant. C’est dans cette chambre qu’on avait caché des sacs de grain et les pots de beurre.

Un officier a logé dans ce qui était alors la laiterie, à savoir la chambre qui se trouve à droite du couloir quand on entre par le “beau perron”, qui est l’entrée principale (2). Il a occupé le lit d’un valet, le “Grand François”, qui était justement allé à Pont-à-Celles. Les autres se sont installés dans la maison de Mr Meunier, qui était juste en face de la ferme. Cette famille était absente à ce moment-là.

Papa (François Meurs) a dû vider l’aire de la grange et le charril qui se trouvait autrefois dans la prairie, à gauche quand on a passé le porche avec le colombier (3), afin d’y rentrer les charriots à l’abri des regards. On avait l’habitude de laisser sécher les pommes de terre dans une partie de la grange, jusque dans l’aire, et les allemands sont passés dessus. Cette année-là, la moisson était très avancée, elle était déjà finie le 15 août, et les pommes de terre arrachées !

Le matin, lorsqu’il a fallu turbiner le lait à la laiterie, l’officier qui logeait là était furieux à cause du bruit. Il y avait encore à l’époque cette cloche placée à l’axe de la roue, qui sonnait pour donner le rythme : elle signalait quand la machine tournait assez vite. Il menaçait, mais il fallait bien faire la besogne, et on s’est dépéché de la terminer. Ensuite, on l’a laissé dormir encore un peu. Puis, quand il s’est levé, il était calmé. Il a partagé la table du déjeuner, et il a trouvé que notre fromage était très bon. Il a laissé de son fromage à lui.

Les officiers se sont regroupés, et les soldats aussi. Ils étaient répartis dans tout le village, et jusqu’à Rosseignies. Papa avait mis les chevaux sur la prairie, pour que les allemands ne les voient pas à l’écurie, mais ils les ont repérés et en ont pris deux. Papa, fâché, refusait de les donner, mais il a du se calmer, car l’officier était nerveux et furieux. La retraite mettait leurs nerfs à bout.

Les soldats sont partis vers midi, et ils avaient oublié deux casques (4). Ils étaient en colonne sur la route, depuis Rosseignies jusqu’à la Haute-Bise, quand ils ont été mitraillés pas des Spitfires. Papa et moi sommes allés dans la prairie (5) pour voir. Il y avait une sorte d’inconscience… Déjà pendant la guerre, un soir, nous étions sortis sur le perron pour voir manoeuvrer un bombardier anglais qui lâchait ses bombes sur la gare de Luttre. On voyait les bombes tomber. Il n’y en eut pas beaucoup, et elles ont fait peu de dégâts. C’était en août, je me souviens que la machine à battre était là (6).

Je me souviens d’être allée à vélo jusqu’à Gouy pour aller chercher de la levure. Il y avait des allemands tout le long de la route. Quand j’y repense ! On était “innocents” !

Bref, tous les gens d’Obaix sont sortis de chez eux pour voir les avions mitrailler le convoi qui s’étalait tout le long du chemin. Il y a eu des blessés parmi les allemands et des chevaux ont été tués sur la prairie qu’on appelle “les Couturelles”. Les gens se sont précipités pour aller découper de grands morceaux. Eh ! Ils en avaient manqué pendant la guerre ! Et puis, on a interdit de prendre cette viande.

Les allemands ont repris leurs chevaux et chargé leurs blessés et leurs morts, puis ils sont partis. Les américains ont suivi presque tout de suite. Ils ne sont pas passés par le village, mais par la Haute Bise (7). Papa est allé voir, mais ils sont passés très vite sans s’arrêter. Les gens étaient peu exubérants.

Papa est alors parti à vélo sur la trace des allemands, avec Léon Laurent, fermier de Rosseignies, dans l’espoir de récupérer les chevaux. Ils sont allés jusqu’à Céroux-Mousty, puis ils sont rentrés, bredouilles.

Au moment de l’offensive de von Rundstedt, il y a eu assez peu d’événements dans le coin. On écoutait très attentifs, les nouvelles. Quand le brouillard s’est dissipé, et que les avions sont arrivés, on s’est sentis soulagés, même si on ne savait pas exactement ce qui se passait et le danger que cela représentait.

 

Jean-François Meurs

 Notes:

  1. On a parlé aussi d’une “rexiste”.
  2. Une entrée qui n’a jamais été beaucoup utilisée, on entre dans la ferme par le petit perron dans la cour.
  3. A l’emplacement de l’actuelle étable des vaches et salle de traite.
  4. Ces casques ont traîné longtemps dans l’appentis qui servait d’atelier. On s’en est servi parfois pour ranger des clous ! Et puis, les enfants ont joué avec… jusqu’à ce que la rouille en vienne à bout.
  5. Cette prairie située derrière la ferme, allait jusqu’à la ruelle de la Haute Bise. Il n’y avait pas de maisons à l’époque.
  6. Il y eut un autre bombardement, plus proche, un peu avant, vers mars/avril (Paul était déjà né… fin janvier). Il y avait une voie de garage sur laquelle stationnaient parfois des convois de munitions, à hauteur de l’école des soeurs et de la cure. Les anglais ont mitraillé le convoi. Les bombes ont fait beaucoup de dégâts à la cure, et il y a eu un carreau cassé à la ferme, à cause du souffle.
  7. Ce n’était pas le chemin principal, large, comme nous le connaissons bordé de maison, mais une “ruelle”, c’est-à-dire un chemin encaissé, étroit, caillouteux. La “Pavée de Rosseignies”, en effet, n’allait pas tout droit vers l’église, mais à hauteur de la chapelle des Affligés, elle tournait pour aboutir devant la ferme du Rossignol (Jaucot), où elle rejoignait la rue du Village.