Istwères d’in gamin pindint ‘l guére

De Jean Fauconnier, né en 1933

Pour ceux qui ne lisent pas le wallon, voyez la traduction à la suite de ce texte.

 

Vos trouvez qu’on d’in pâle bran.min pou l’moumint, rapoûrt au cîkantième aniversére du dèbarkèmin : bin râde del liberacion ? Eh bin, djè m’va tout ‘l min.me vos raconter sakantès souv’nances d’èl guére, quand dj’astoûs gamin.

Bin seûr què wâye, èl cyin qu’vos viyîz asteûr come in grand-pére avè toute ès’ tribu à les fièsses dè famîye n’astoût, dè c’timps-là, qu’in djambot nin pu waut qu’ène bote, qui daloût in courtès marones à scole dès Fréres ; pa coûs min.me in chabots, pou daler à sklide su ‘l nîve : faut vos dire qu’on avoût des iviérs come on n’d’in vwèt pus asteûr !

 

Mins èrvènone al guére …

 

In djoû d’esté, ça d’voût ièsse in karante, djè jouwoûs tout seû dins ‘m djârdin avè ‘n soûrte dè pot d’fleûrs in fiér. Em’ mére èyè ‘m sieûr astine dins ‘l cûjine. I f’soût ‘ne tchaleûr ! T’à n’in coû, sins souner ni buchî, vla ‘ne binde dè boches pau colidor, èy’ à grands coûs d’gueûye, is fzont comprinde qu’y leû faut dè l’eûw pou ieûsse rlaver leûs mins. Moman leû mousse èl robinet. Is couminchont à s’èrlaver, èyè dè d’lon, i da yun qui m’apèrswèt in trin d’djouwer. I couminche à m’fé dès signes d’amitiè comme on fét à tous les èfants. Djè l’erwéte sins lachî ‘m pot. A l’fin, is sont vôye sins vîr … què dj’jouwoûs avè in vî casse d’almand dè l’aûte guére, èl cyène dè katoûrze. Quand èm mére a vu ça, èle m’a rsatchî ‘l casse dju dès mwins éyè djè n’ l’ai pus jamé rvu ! …

D’ès’ timps-là, i n’avoût wére d’autos. Les éfants povine djouwer dins ‘l rûwe al bale, au canif, à mèrpes, au tchat muchî, al bale au mur’ sul pègnon du boulindjî Djan Charliè. Nos stine, in djoû, in trin d’jouwer al bale, mi, èyè ‘m coumarâde, delé ‘l mézo. Il avoût in mur’ nin foûrt waut qui muchoût èl djârdin d’in vijin, qu’ès’ mézo astoût stitchîye dins l’aute rûwe, èl rûwe Gènèral Leman, èl rûwe Pirou come dizont les vîs aclots.

Vla-t-i nin qu’à in moumint, no bale est tapèye pa dzeûr èl mur’. Nos v’la tout paf’ d’èn pu savwèr djouwer. A ‘l fin, nos pèrdons nos corâdje à deûs mins, pou daler dins l’aute rûwe, d’mander no bale à ‘s n-ome là, qui n’astoût nin bia a vîr tous les djoûs.

 

On soune.

Persoûne !

On r’soune.

On ratind bin cîk munutes.

On daloût pèter voye, quand on intind in brû. V’la l’uch qui s’drouve. Em n-ome aparèt, èl visâtche tout disfé.

  • Ah ! C’est vous ! Mins vous êtes fous de venir sonner ainsi !

I soufloût èy i suwoût come yun qu’âroût vu èl diâle in persoune !

  • Mais, Monsieur, nous voulions simplement ravoir notre balle.
  • Allez la chercher, votre balle !, dist-i nwér dè colère, mais ne recommencez plus jamais cela.

Vos dire què les pus sézis, ç’astout nous autes. Avwèr fé peû à ‘s n-ome là, sins savwér poukê.

Sakants mwès ont passé. C’a stî ‘l libéracion. Ey’ on a su què. Es n’-ome là, qua s’monumint au cimintère dè nivèle, astoût in grand chef dè l’arméye blanche èy i nos avoût prins pou ‘l Gestapo ! Mossieû Hougardy (M.N.B.). Oneûr li seûche rindu.

Vlà ! D’in vla in satch assez rimpli pou ‘s coû-ci. Djè vos ai dèsbobiné ‘m tchaplèt avec des avintur’s vréyes. E d’ayeûr, min.me ‘s èles nè l’sont nin, i n’da pon dins vous autes qui saroût m’dèsminti.

 

Djan (Fôconier) d’Nivèle

1994

 


Translation, en essayant d’être le plus proche possible du texte wallon.

Histoires d’un gamin pendant la guerre

Vous trouvez qu’on en parle beaucoup pour le moment, à cause du cinquantième anniversaire du débarquement, bien vite de la libération ? Eh bien je vais tout de même vous raconter quelques souvenirs de la guerre quand j’étais gamin.

Bien sûr que oui, celui que vous voyez maintenant comme un grand-père avec toute sa tribu aux fêtes de famille n’était, de ce temps-là, qu’un enfant pas plus haut qu’une botte, qui allait en courtes culottes à l’école des Frères, parfois même en sabots pour aller à glissoire sur la neige. Il faut vous dire qu’on avait des hivers comme on n’en voit plus maintenant !

 

Mais revenons à la guerre.

 

Un jour d’été, ça devait être en quarante, je jouais tout seul dans mon jardin avec une sorte de pot de fleur en fer. Ma mère et ma sœur étaient dans la cuisine. Il faisait une chaleur ! Tout d’un coup, sans sonner ni frapper, voilà une bande de boches dans le corridor, et à grands coups de gueule, ils font comprendre qu’il leur faut de l’eau pour se laver les mains. Maman leur montre le robinet. Ils commencent à se laver, et de loin, il y en a un qui m’aperçoit en train de jouer. Il commence à me faire des signes d’amitié comme on fait à tous les enfants. Je le regarde sans lâcher mon pot. A la fin, ils sont partis sans voir … que je jouais avec un vieux casque allemand de l’autre guerre, celle de quatorze. Quand ma mère a vu ça, elle m’a retiré le casque hors des mains et je ne l’ai plus jamais revu !

De ce temps-là, il n’y avait guère d’autos. Les enfants pouvaient jouer dans la rue à la balle, au canif, à billes, au chat caché, à la balle au mur sur le pignon du boulanger Jean Charlier. Nous étions en train de jouer à la balle, moi, et mon camarade près de la maison. Il y avait un mur, pas très haut, qui cachait le jardin d’un voisin, dont la maison était fichée dans l’autre rue, la rue Général Leman, la rue Pirou comme disent les vieux aclots.

Ne voilà-t-il pas qu’à un moment notre balle est envoyée par dessus le mur. Nous voilà tout désolés de ne plus savoir jouer. A la fin, nous prenons notre courage à deux mains, pour aller dans l’autre rue, demander notre balle à cet homme-là, qui n’était pas beau à voir tous les jours.

 

On sonne.

Personne !

On re-sonne.

On attend au moins cinq minutes. On allait s’en aller, quand on entend un bruit. Voilà la porte qui s’ouvre. Le Monsieur en question apparaît, le visage tout défait.

  • Ah ! C’est vous ! Mais vous êtes fous de venir sonner ainsi !

Il respirait bruyamment et il suait comme quelqu’un qui aurait vu le diable en personne !

  • Mais Monsieur, nous voulions simplement récupérer notre balle.
  • Allez la chercher, votre balle !, dit-il noir de colère, mais ne recommencez plus jamais cela.

Vous dire que les plus surpris c’était nous autres. Avoir fait peur à cet homme-là, sans savoir pourquoi.

Plusieurs mois ont passé. Ce fut la libération. Et on a su quoi. Ce Monsieur, dont le monument se trouve au cimetière de Nivelles, était un grand chef de l’armée blanche, et il nous avait pris pour la Gestapo ! Monsieur Hougardy. Honneur lui soit rendu.

Et voilà ! En voilà un sac assez rempli pour cette fois-ci. Je vous ai débobiné mon chapelet avec des aventures vraies. Et d’ailleurs, même si elles ne le sont pas, il n’y a personne parmi vous qui saurait me démentir.