Oncle Joseph Plasman
17-19 janvier 2013
Introduction
“Courtès mèsses èt longs din.ners !” Lors des cérémonies de mariage, sur le ton
de la farce, tu m’as plus d’une fois donné un conseil ressemblant à un ultimatum
: “Courtes messes et longs dîners”. Tu avais d’ailleurs un complice, l’oncle
Ferdinand qui me répétait la même chose. Je n’arrive pas toujours à suivre ce
conseil pourtant judicieux … Mais aujourd’hui, nous allons quand même prendre
tout notre temps pour te dire les mercis qui conviennent, en faire une fête, et
boire quelques paroles à ta santé. Même si cela prend du temps, ce n’est rien à
côté du long dîner à la table de Dieu pour l’éternité. Donc, patience, c’est ta
dernière messe, et on a des choses à te dire.
Sans être un mécréant, tu n’étais pas le croyant pur et dur à l’ombre du
Vatican. Tu avais horreur de tout ce qui était factice et qui sentait la bêtise.
Ta foi était simple, directe, sincère, virile, et plutôt méfiante. Une foi
critique. Il ne fallait pas te faire avaler n’importe quoi. Tu voulais une foi
qui respecte la dignité d’un homme. Ta foi personnelle restait discrète, sans
grandes déclarations ni démonstrations. Une foi sobre… donc des messes
courtes.
C’est une foi “moderne”. La foi d’un homme qui sait ce qu’il vaut, ni tout à
fait bon, et pas trop mauvais, et qui sait tendre la main à quelqu’un de plus
grand, à Dieu, parce que la vie souvent nous dépasse. Un Dieu qui reste
mystérieux, mais qui agit dans la nature et dans le coeur de l’homme. Et une
sympathie pour un Jésus qui revendique la justice, l’honnêteté, la loyauté.
Marie avait une place particulière dans cette foi. En 1940, soldat mobilisé, tu
avais quitté ta troupe et fait un détour, empruntant un vélo, pour venir voir ce
que devenait ta famille. Au moment de retourner dans ton bataillon, notre
grand-mère, ta belle-mère, t’avait donné une médaille de Notre Dame de Lourdes
pour te protéger. Et quand, au bord de la Lys, ton unité a essuyé un tir de
l’ennemi, que tu t’es retrouvé vivant, avec le talon d’une bottine arraché, et
plusieurs compagnons morts à gauche et à droite, tu as su que ta vie était un
miracle et tu as toujours été reconnaissant à Marie.
Aujourd’hui, ensemble, nous demandons à Marie et à Dieu de continuer de prendre
soin de toi.
Homélie, à partir des noces de Cana.
Quand Jésus commence sa Bonne Nouvelle, ce n’est pas un Jean-Baptiste austère et
tout maigre qui vit au désert et mange des sauterelles. Cela commence par la
fête à Cana. Et si Jésus était souvent invité dans des banquets, c’est parce
qu’il savait raconter des histoires plaisantes. Avec Mon oncle Joseph, tout
commençait par la fête et le rire, par la plaisanterie et des carabistouilles,
et par le récit burlesque de tes exploits. Et c’est très évangélique. En forçant
un peu, je dirais qu’à Obaix, on était là pour travailler, mais on s’amusait
bien. A Lillois, on était là pour
s’amuser, mais après on travaillait, parfois tard, et on venait à bout de la
besogne. Cette différence est un état d’esprit qui nous séduisait, nous, les
cousins, venus en vacances à la ferme du Vert Coucou.
C’est très évangélique et théologiquement profond, car la joie est au départ de
tout. C’est dans la joie que Dieu a imaginé le monde, la Création est une fête.
C’est dans la joie que tout doit commencer, si l’on veut arriver à la joie. Et
il y a toutes les joies quotidiennes qui sont un bon GPS pour nous permettre
d’arriver à notre destination qui est la joie. Et si parfois le vin de la joie
vient à manquer, Jésus nous encourage et nous rappelle qu’il y a un vin meilleur
qui viendra à la fin, c’est la résurrection.
Nous ne savons pas grand chose de la résurrection, Jésus est très discret à ce
sujet et ne laisse pas vagabonder son imagination. Nous savons l’essentiel :
c’est une histoire d’Amour. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de faire
confiance à Dieu comme à un père. Heureusement, des personnes comme mononc
Joseph nous aident à y croire, lui qui a été créé joyeux, fait pour la joie.
Pas une joie naïve avec des anges qui volent dans le ciel. Une joie paradoxale
qui sait très bien que la vie est dure et donne de sérieux coups de bâton. Une
joie qui sait qu’on n’est pas installé dans la joie, et que la joie n’habite pas
chez tous. L’évangile de Cana nous apprend qu’il faut remplir d’eau les jarres
de pierre. Il faut se faire serviteurs de la vie et les remplir avec ses larmes,
avec sa sueur, avec l’eau des doutes et des angoisses, celle des prières pour
que le malheur s’éloigne. Mais surtout servir la vie en remplissant ces jarres
avec notre action bénéfique et généreuse. Oncle Joseph les a remplies avec son
courage, son optimisme, sans oublier son humour et en faisant le pître et des
pirouettes pour faire la nique au malheur, ne pas se laisser contaminer par la
tristesse et pour en protéger les autres.
La sagesse humaine dit qu’il faut mettre de l’eau dans son vin. Cette sagesse ne
suffit pas, et dans ce récit de Cana, Jésus dit qu’il y a mieux à faire. Oncle
Joseph ne s’est pas résigné à mettre de l’eau dans son vin, il a su faire des
petits miracles et transformer l’eau en vin. Il changeait la vie, pour rappeler
la chanson de Goldman. Son amour pour marraine, son épouse, sa complice de la
grande aventure de la vie, est un grand cru que nous boirons encore souvent à sa
mémoire. Son affection pour ses enfants, ses beaux-enfants, ses petits enfants,
ses arrière-petits-enfants, ses neveux et nièces, est un vin qui peut vieillir
et que l’on dégustera encore longtemps, de génération en génération, à la santé
de tous. Un vin qui continuera, j’espère, à nous donner le goût de faire des
petits miracles, un vin qui nous ressuscitera chaque fois qu’il le faut, en nous
donnant le goût de la vraie vie, un vin qui nous maintiendra dans la joie.
Jean-François Meurs