L’eau et le vélo
Notre camp vélo Ephata 14/16 2004 s’est déroulé en Bretagne, à Coat an Doc’h, sur le site de l’école d’horticulture et du lycée Don Bosco. Ce n’était plus, comme tous les deux ans, le trajet d’un pèlerinage, avec sa spiritualité du départ et d’un but à atteindre, étape par étape, à force de déménager, mais un tour, à l’instar du Tro Breiz, le tour de Bretagne, qui inscrit un espace sacré à l’intérieur d’un cercle ou trèfle protecteur. Les cyclistes étaient invités à explorer leur espace intérieur, en faisant le tour d’eux-mêmes, et à créer un paysage intérieur, celui du groupe.
Chaque jour, les 40 garçons et filles, encadrés par une douzaine d’adultes, partaient en petites équipes, alternant une visite à la côte avec une exploration de l’intérieur du pays. L’Armor et l’Argoat, le pays de l’eau et le pays de la terre avec sa forêt. Ces deux éléments mis particulièrement en valeur, mais aussi le vent et le feu, faisaient partie du thème de l’année.
Chaque journée visait un but particulier : se dépasser, se mettre au service, faire attention aux plus petits, soigner la qualité des relations entre garçons et filles, développer sa créativité, goûter au silence, faire attention à la beauté de la nature, découvrir Dieu et l’évangile dans tout cela.
Jour après jour
Dès le premier jour, il y eut une petite escapade à la mer, jusqu’à la plage des Godelins, à Etables sur Mer. Sous la pluie… Mais les jeunes ont pu traverser à pieds un bras de mer pour rejoindre un banc de sable étalé paresseusement dans l’eau. La journée du lendemain demandait de l’endurance : 117 kilomètres, à travers les villages fleuris, pour aller contempler des étendues de gros rochers sur lesquels la mer vient se fracasser, un paysage fantastique. Un magnifique soleil a plombé la route, et beaucoup ont regretté de ne pouvoir flâner plus longtemps comme des otaries sur les blocs de granit. Mais l’objectif était de prendre la mesure de ses limites physiques, et de les dépasser ensemble, pour souder l’équipe.
L’étape suivant nous a conduits vers la forêt de Ganahuel. La pluie nous a coincés sous un abri de terrain de foot au moment du pique-nique. Nous étions là entassés, dévorant nos sandwiches quand un homme est venu nous proposer d’ouvrir les toilettes et nous offrir l’accès à une salle en terre battue qui sert pour les fêtes locales. C’était comme un clin d’œil de Don Bosco : nous avons pu y faire le programme prévu, les carrefours et discussions. Au moment de repartir, le temps s’était levé.
La journée dite « sans repères » a permis de vérifier la force du groupe, pareille au courant d’une rivière bien canalisée entre ses deux rives. En l’absence des animateurs, les jeunes se sont organisés pour le petit déjeuner et pour inventer en carrefour un jeu nouveau, avec ses objectifs et ses règles. Redécouvrir la valeur des lois préparait l’après-midi libre dans les rues de Guingamp. Les jeunes y ont réalisé un « micro-trottoir », invitant les personnes à dire ce qu’il entendent lorsqu’ils souhaitent des repères pour les jeunes. Puis, ils ont flâné, certains se mêlant aux danses bretonnes exécutées sur la place.
Le 5ème jour, le vent nous a poussés jusqu’à la plage de galets de Plouha. Après la baignade, les jeunes ont eu le temps d’escalader la falaise pour découvrir un ensemble de criques et d’îlots léchés par l’étendue bleue. Ce jour là, chacun pouvait poser aux autres des questions à partir de ses préoccupations, ses bonheurs, son expérience de la vie. Y répondait celui qui le souhaitait. Une façon de sentir que chacun est un galet poli par le groupe qui vous tourne et retourne comme les vagues et la marée.
Le 6ème jour, Ephata se reposa. Grasse matinée, visite guidée de l’école d’horticulture, avec le Père Jean-Claude, qui nous a bien fait sentir que nous étions du même esprit, dans une école de Don Bosco. Après-midi : lessive. Et puis, davantage de temps à la chapelle pour réfléchir, écrire des petits messages, se pénétrer de l’esprit de service. Le soir, les jeunes nous avaient concocté un remarquable programme de magie, d’acrobaties, de sketches et de chants
Eucharistie face à la mer
Le 7ème jour nous a fait vivre le passage. Partis le matin jusqu’à Binic, avec le carrefour de la semaine écoulée, nous avons laissé les vélos pour marcher ensemble durant trois heures. A la chapelle St Gilles, nous avons pris nos sandwiches et fait une petite sieste, avant de reprendre la marche par d’étroits sentiers de terre qui s’enfoncent dans les bois et les champs. Nous avons célébré face à la mer et son vaste horizon : l’eucharistie, c’est toujours une ouverture de notre petit horizon en vivant la communion avec les chrétiens qui célèbrent partout dans l’univers, et en ouvrant nos pensées et nos cœurs à l’horizon de Dieu. Là, les nouveaux carrefours ont été constitués, et c’est avec une autre équipe que chacun a fait le chemin du retour.
Nous avons médité le psaume de la Création en sillonnant les routes bordées d’énormes hortensias, de hautes haies vertes, de petits bois vigoureux, avec des croix de granit aux sculptures naïves à chaque carrefour. Suivis de la rassurante camionnette rouge de Farnières, pilotée par notre mécanicien magicien (avec un grand vélo, il en fait un petit !). Parfois, pour patienter, en attendant que le dérailleur ne déraille plus, on augmente le son de la musique et on se met à danser comme des fous. Et ce n’est pas une ondée impertinente qui nous retient ; les fou-rires découragent les gros nuages. Au bord du lac de Quintin, chaque carrefour a peint un paysage rassemblant les impressions de voyage, ballots de paille, menhirs, maisons aux volets bleus, églises de pierre, lac, fleurs de toutes sortes. Certains ont aussi dessiné le paysage avec des mots. Quelle variété d’un groupe à l’autre !
Dans le bois de Bourbriac, le 9ème jour, nous nous sommes dispersés pour un long temps de désert. Assis dans une petite clairière pour lire, écrire, réfléchir, prier, ou alors en marchant sur l’un des itinéraires balisés. Durant presque une heure, l’orage a tourné autour du bois en grondant, mais il a respecté notre solitude et notre coin de ciel bleu. Beaucoup ont appris à aimer ce moment où l’on s’efforce de passer par la porte étroite qui conduit à la rencontre de son moi intérieur et du Dieu vivant. Le chrétien est comme un mousse qui braque sa longue vue sur un horizon nouveau, annonçant l’espérance. Au retour, la pluie s’est chargée de l’aspersion purificatrice… Et nous avons sillonné les petits chemins capricieux entre les Kergoas et les Kerraoul, les grosses fermes et les petites maisons pleines de merveilleux secrets.
Et de 10 : cinquante kilomètres jusqu’à Paimpol et l’embarcadère pour l’île de Bréhat. L’étrave du bateau coupe difficilement les vagues compactes qui lui viennent à l’assaut de face. Ça balance, il faut tenir l’équilibre, dans le vent qui fouette et décoiffe. Le crachin ne dissuade pas les « éphatiens » de se régaler des magnifiques vues tout autour de l’île. Débarquement. Le pique-nique est un moment de joie collective, avec la connivence des passants. Les jeunes s’improvisent mendiants musiciens. Puis, ils se dispersent pour se balader du Nord au Sud. La pluie nous laisse tranquilles jusqu’au voyage du retour, mais c’est sous la pluie battante qu’il faut reprendre les vélos. Le déluge transforme les cyclistes en pluviomètres. Mais ils font tous face pour ce dernier trajet. A huit heures, le dernier groupe rentre au bercail. Ah ! le réconfort d’une bonne douche, chaude cette fois.
L’eucharistie rallye
Le onzième jour. Le temps – déjà ! – de la moisson, de la célébration et de la fête. Les carrefours ont préparé l’eucharistie rallye qui nous a conduits, avec les vélos, tout autour du site de Coat en Doc’h. Chacun proposait une mise en scène des meilleurs souvenirs et un choix de paroles messages pour tout le groupe. Ce fut à la fois l’évaluation du camp et la liturgie de la parole. Là encore, le ciel nous a laissés tranquilles jusqu’au moment où nous sommes entrés dans la chapelle ; il s’est alors laissé aller à de grandes libations, pendant que nous célébrions la table du pain et la première communion de Maxime. C’est lui qui est venu devant, avec sa charrette, pour nous aider à prier le Notre Père. A la fin de la célébration, chacun a découvert la boîte aux trésors préparée par un autre depuis le début du camp. La veille et le matin avaient été marqués par une activité fébrile pour décorer les boîtes et les remplir d’objets et de petits mots significatifs du camp. Il y eut des galets peints, des pétales d’hortensias, des luminaires, des allumettes, et aussi des bonbons, en souvenir de la quantité de sucreries avalées pour mieux avaler les kilomètres. Et d’autres surprises et petits secrets…
La finale a été de toute beauté. Les sacs une fois rangés, les vélos embarqués, le car nous a emmenés pour une escale en plein vent, en pleine pluie et en plein soleil au cap Fréhel. Trois heures de flânerie, à contempler la mer assis au milieu du mauve des bruyères et de l’or des ajoncs, à descendre et escalader les rochers jusqu’à la mer, arpenter la falaise. Temps de contemplation, temps gratuit pour simplement goûter l’amitié, bavarder, ressasser déjà des souvenirs. Le car nous a ensuite repris pour nous emmener au Mont Saint Michel. Là, Dominique nous a fait un « dim dam doum » qui a amusé les touristes. Vous ne savez pas ce que c’est qu’un « dim dam doum » ? Il suffit de chanter « dim » en posant les mains en visière sur le front, puis de faire « dam » avec les mains à hauteur de la poitrine, et on termine par « doum », les mains aux cuisses. Le jeu consiste à varier le ton, l’ordre des gestes, le rythme, en répétant ce que fait le maître de jeu. Enfantin, mais efficace et amusant. Les jeunes ont ensuite chanté et fait des rondes pendant une demi-heure, entraînant les touristes, offrant un spectacle de joie et d’amitié pendant une demi-heure.
Aux pieds de la muraille, les jeunes ont remis les diplômes aux animateurs. Moment de se dire de grands mercis pour les bons moments vécus ensemble. Puis, la nuit a avalé le car jusqu’au Mont Saint Aubert – clin d’œil au Mont Saint Michel – au petit matin. Adieux aux amis, on se regarde tout étourdis de ce qui nous est arrivé en si peu de temps. Intensité du vécu. Invitation à n’en pas rester la, mais à créer l’avenir. C’est ainsi que tous ensemble, nous allons à Dieu.
Jean-François Meurs