Les carnets de Tante Odile

 

 

Carnet de 1999 (suite)

 

Ø  L’an 2000. Rêver, des journées à ne rien faire et squatter un arbre en forêt : mon rêve.

 

Ø  Le nouvel an est arrivé et, surprise, cette femme, la femme de Cerfontaine, amie ou exemple de courage, volonté, savoir faire ? Elle attendait immobile, les yeux interrogateurs, auscultant avec nostalgie ce par quoi, par qui avaient été formés ces hommes, nos maris, fermiers dans l’âme, mais si peu réceptifs, question regards. Je pus voir la sincérité de son intention … , la simplicité intelligente que j’ai toujours respectée. Bonne après-midi.

 

Ø  Au-delà des mots … écrire ouvre en grand les fenêres sur des perspectives, des sentiments insoupçonnés, révélant des pensées, des émotions que vous ne pensiez pas entretenir au fond de vos tripes. C’est par exemple quand je me sens démunie … que je suis forte pour décider, je suis née rebelle quand acculée devant l’évidence qu’il n’y a pas d’autre solution. … PARTIR … Frappée par l’obligation de la dépendance, passage difficile : dépendre ! C’est accepter, c’est le destin. Reste l’ironie, reste l’élégance du désespoir de se voir seule !???

Les difficultés … la souffrance intérieure, la rébellion contre ce qui vous heurte dans le quotidien de votre vie, et le mépris secret pour tous ceux dont les préoccupations mercantiles régissent leur vie… et la mienne.

Partir, sans explication de fond, dans le secret de mes vraies pensées, ce miroir des apparences dans lesquelles j’ai toujours vécu. Premier devoir de vigilance envers soi-même, envers les autres !!!

Alors, PARTIR.

 

Ø  Ce 21/1/2000. Les russes, sur les fronts russes… J’entends encore l’horreur complète de ce que Papaul avait enduré et comment il y avait survécu. Il ne l’a jamais oublié !

90 % de nos politiciens prennent la décision d’envoyer d’autres gens à la guerre. “Je suis ici, tu iras là-bas!” Où ? Pourquoi ?

Si nous n’avons pas le courage de descendre au fond de nous-mêmes pour décider de nos actes, nous laissons libre cours aux autres, à l’établissement de notre pensée, de nos actes personnels !!!

(ndlr pour ce qui suit : Tante Odile avait accepté de visiter les personnes âgées d’un hôme de Gouy) Soyez-en certains : toute la déshumanisation du monde aujourd’hui, laquelle est arrivée dans la plus petite organisation, tel que les ENTREPRISES-HOMES pour personnes âgées. Le fric toujours, l’argent, et le MOI, POUR MOI.

Ma conscience s’en est accrue, ce service est des plus nécessaires : visiteurs des malades, des personnes âgées, dans ces casernes à fric. Si nous ne sommes pas convaincus de son utilité, si nous n’avons pas la patience d’écouter, de voir les luttes de l’autre pour survivre, il ne nous sera pas aisé d’accomplir l’effort menant à les rencontrer.

Entre passé et présent, quel fossé… et un pas tremblant vers l’Avenir. Pauvres enfants, s’ils n’ont pas compris l’apprentissage de la patience, de l’écoute des uns et des autres, de partager (nos luttes, nos difficultés à vivre).

Tout fait partie de ma joie de vivre, j’essaye simplement de travailler (à mon rythme), d’y prendre plaisir et d’apprendre encore quelque chose, à façonner un regard sur le monde. Empreint de la sagesse de mes 84 années certes, mais lucide encore pour le choix de mes engagements. Tante Mobile.

 

Ø  Louer un studio ou un appartement à 84 ans ? Tout le monde dit (que je vais y) gagner en facilités, indépendance… La déconfiture est un plat qui se mange froid. Et seule. Pourquoi ?

Une maison, un jardin… La terre, elle, n’est pas sourde et muette. Ses 4 saisons, tu sèmes, (cela) germe, pousse, mûrit, récolte, s’endort, se réveille, te réveille à un renouveau.

 

Ø  Ce jeudi 24/2/2000. Lire, écrire, c’est s’obstiner. C’est mon refus de m’ennuyer ! C’est l’énergie à mettre en route, parfois pour des choses, des moments qui vous dépassent … et, étonnée devant une réussite inespérée, continuer, rêver, commencer et recommencer, erreur et réussite. A Dieu vat !

 

Ø  Jean XXIII, lui, demandait à l’Eglise “de se regarder dans le miroir de l’Evangile”. Art de vivre … dans la docilité et donne la force de vivre dans l’Esprit de Jésus et son chemin à suivre.

L’Evangile ne peut inspirer qu’une société douée de qualités humaines… comme nous sommes loin d’une rapacité de l’argent … tout vrais paysans que nous sommes, si dure est notre vie, c’est l’Amour qui domine, l’Amour solidarité entre nous. L’Amour simple de la terre qui nous nourrit. L’Amour des enfants qui nous protège de sombrer dans nos vieux jours. L’Amour de nos petits enfants qui nous réjouissent par leurs joies de vivre.

 

Ø  1er mars 2000. Un peu de recul… 1976… en quittant la ferme. Douloureuses questions. Pourquoi ? Pour qui ? Comment ?

C’est de cela qu’il s’agit, même s’il s’impose et donne à “la Ferme, la Maison” le rôle central. (Voilà) pourquoi je suis Tante Mobile. “La Maison”, bulle enchantée des joies, des malheurs qui guettent.

1946-1976. Par hasard, vous passez rue du Village n° 115, Obaix. Vous jetez un  oeil furtif sur la cour… vous voyez de nombreux enfants, tous leurs jeux, vous entendez leurs cris de joie ! jouer avec des riens, jouer vraiment, jouer à devenir grands… Et après le départ “des parents”, on a fait le deuil de 30 années de vie passionnante à vivre, survivre. Réussir leurs santés, leurs avenirs… Voir mourir notre aîné et … quand chacun de nous, fiancés ou mariés, comme notre François… se disputent ? Et deux forces s’affrontent, celle de la vie et celle de la destruction. La force de vie vous échappe, il reste deux enfants trompés par la vie inconnue pour chacun… Et deux parents angoissés !

1973-74-75-76- … 1973… La veillée. Je reprenais mon fils – enfin dans sa chambre… Il était revenu, enfin ; Seule, 3h du matin, Louvain, St Raphaël. Le froid gagna mes os. J’ai fait mienne sa respiration. Nous avons sombré ! Tout me semble lourd, arrêté. Les autres sont des étrangers, j’éprouvais une hâte, je voulais, je voulais, je ne comprenais pas, follement lasse. Je m’enfonce, respirer, mon instinct me dit, m’avertit. Je ferme les yeux, j’ai très froid. Tous m’importunent. Détournant les yeux. S’il vous plaît, laissez-moi.

Déclin de l’amour ? Surplus d’exigences ? ou la réalisation de Soi … d’où le danger de recentrage sur le rapport à soi et … DANGER. Adaptation de mesure. Et faire quoi de sa propre vie ? Une oeuvre extraordinaire ou s’ennuyer, déprimer ? Et on s’investit ailleurs.

 

Ø  2 mars 2000. Visite inattendue et rappel de souvenirs drôles, et sentiments forts ! C’est mener “Un bon combat”, le Bon combat”.

 

Ø  3 mars 2000. Visite obligatoire au Hôme “La Peupleraie” que moralement je ne peux plus abandonner. Je me suis bien malgré moi engagée envers la paroisse, pour la représenter en tant que “visiteur des malades”.

 

Ø  Les soins palliatifs, c’est la prise en charge de la personne atteinte d’une affection incurable et soignée à domicile en fin de vie. Soins, traitements anti-douleur dont le recours demande l’hospitalisation. C’est la prise en charge plus conviviale, plus familiale dans une “unité centrée sur le confort de la fin de vie”… Des soins donnés à notre Pa Paul par la Croix jaune et blanche de Nivelles.

 

Ø  L’An 2000 ne s’ouvre pas sur le meilleur, ni sur le pire des mondes. L’ère du moralisme hygiénique : rouler pépère, faire du sport, ne pas fumer en public, manger des fibres, boire modérément, faire l’amour couvert… Et faire de sa vie une oeuvre extarodinaire !!!

Et … Pour composer notre bonheur, il faut y faire entrer celui des autres (Comtesse de Ségur). Pour cette année 2000, mes souhaits : que votre porte aussi reste grande ouverte pour qu’y entrent à profusion amitiés, joies, et tous les petits bonheurs de vos rencontres.

 

Ø  (15 mars 2000) Et ma grande soeur Paule est parie rejoindre tous ceux, nombreux, de nos proches, proches de notre coeur qui bat la berloque. Aujourd’hui, seule, isolée dans 39 m2. Il me reste à aimer. À attendre les visites personnalisées. Mon frère Fred, mes soeurs ; sans jamais être envahissants… Tartes, fleurs en bouquet annonçant les saisons, ajoutant au plaisir de la rencontre. Il me reste… il me reste… ? à attendre ! Quoi ? Nous étions 5 à fêter nos 80  printemps. Nous sommes 4 soeurs + 1 frère ! Le bon Dieu aura bientôt fini de veiller sur la série Piret !

La vie que j’ai vécue, fait/est que je ne comprends pas celle que Paule n’a pas vécue ! Ce n’est pas possible de sonder les coeurs meurtris et je ne peux expliquer les raisons de cette impossibilité… Et ça crée de la souffrance qu’il faut cacher… la défaite et la victoire ne sont jamais là où vous pensez ! … insondable Moi.

Se mêler des autres en restant soi-même. Drôle de principe croyez-vous ? C’est rester Piret. ! Principe de droiture, d’ouverture à l’autre, écoute, travail. Travaux d’ensemble pour tous. Relation à l’autre, esprit de fraternité. Echanger et prier. Vivre seule m’est très dur.

 

Ø  Laisse,

Laisse faire en toi le travail du vide

De ce vide où Dieu et PaPaul repose

Fidèle à la promesse du 7e jour…

Jaillira la fontaine vive

 

Alors ?

Sans même que tu le saches,

L’Esprit avec toi renouvellera le temps que tu passes

Et ce sera à tout jamais

   La sérénité

               (quoiqu’il arrive)

 

Ø  Annonce du mariage de Frédéric Meurs en juillet. Félicitations. C’est maintenant, aujourd’hui, demain et toujours. C’est vous deux qui êtes concernés face à l’à venir. Le construire à deux, main dans la main. Les meilleurs voeux de bonheur de Tante Odile…

 

Ø  Jeudi 23 mars 2000. … Quand vous avez dix ans, tout est dans vous, dans votre âme, dans votre esprit … dans votre coeur … dans vos envies, dans votre être, dans votre conscience, dans vos vérités.

Mon premier cahier est intitulé “Le Mysère de ma Vie”. Voilà, je l’ai trouvé. “Il est difficile de vivre seule”. Mais retourner en arrière comme je le fais depuis ce 39 m2 dans la grange où je suis remisée…

“Parler de la pauvreté” … la maladie de lapauvreté que l’on traîne avec soi.

Changer de maisons, de villages, c’est parfois être maladroit dans ce que tu décides, ce que tu es. Mais avec la Paix retrouvée, le silence et aucun regret du parcours et des décisions prises. Aucun regret ne m’effleure, car joies et souffrances font le plus merveilleux bouquet coloré de souvenirs MEURS-PIRET. “J’AI VECU”. Amen. Ma prière ce soir, 23h15’.

 

Ø  Vendredi 24 mars. L’IMAGINATION est plus importante, plus grande que le SAVOIR (Einstein). Mais primordiale est l’intelligence du coeur, du Bien, du Beau et du Bon. (Ce qui est médiocre me déplaît !).

 

Ø  Samedi 25 mars. Messe de mariage de Laurent Wéry … que restera-t-il des Pirets?, de la gentillesse d’Alfred ? Bonne route !

 

Ø  Samedi 1e avril. Une semaine … deux semaines que “ma grande” soeur Paule est partie et a pris le bon chemin du repos, de la plénitude et de la paix éternelle… Ses enfants, ses petits enfants, ces “jeunes pousses” vont grandir. Ils feront revivre le blé, ils seront renommés comme le bon vin … ?!

Onze années en différents hômes. Femme forte et bien armée dans sa foi, elle a gardé “Tout ce qui lui appartenait” dans son coeur, en sécurité, dans la confiance. Une belle âme. Ton souvenir me console.

 

Ø  9/4/2000. Ah ce P.S.C. aujourd’hui affadi à la sauce sans sel, se permet de supprimer son “C” de chrétien pour nager avec les courants fous de l’économie de marché. Gare à nous, les pauvres, les petits… (tous des Blair-istes).

 

Ø  Croire en Dieu quand tout va bien, c’est facile. Mais le silence, un lieu de prière, de vide en soi, est aussi un lieu d’épreuves et un lien avec ma foi. … Prier ensemble.

Recevoir les claques de la vie, quand les tuiles vous tombent dessus, les départs de ceux que vous avez aimés… quand les malheurs s’accumulent. Tout n’est plus si évident. … ! C’est le moment du choix : un laisser-aller sans espoir et se lamenter ; ou se remettre à la Providence de Dieu ! Là est le mystère d’une vie.

 

Ø  Pâques 2000 ! Le repos me déprime. Fini les voyages. Restent quelques médiocres projets. Enfermée dans mon 39 m2. Je vis entourée de locataires que je ne connais pas. C’est heureusement bien : je n’aime pas être envahie. Une parole en trop et ça se retourne sur vous comme le bac “su l’pourcha”. Chacune a ses défauts, ce n’est pas mal… le monde serait tellement monotone. J’aime observer les gens vivre… cela me permet de voir les longueurs de leur savoir, les faiblesses, leurs réactions. Je peux réapprendre à connaître contrée et mentalité, on échange un salut hâtif, on écoute, on envoie des signes on échange du regard. Chaque village est un visage. Gouy est étrange, familier, wallons, flamands et italiens se côtoient. Mais il faut s’y faire et comme dans la traditon “curieux comme des djoûnes dè gates”, spotchant le français d’un “wè” pour “oui” qui heurte l’oreille.

Ma vraie détente aujourd’hui, là je suis encore heureuse, c’est la musique, parce que la musique est belle comme la nature et élève l’âme, elle a une vérité comme la foi, une force, de l’éternité. Trop âgée malheureusement pour des déplacements ! … Mon seul regret !

Les cloches sont parties à Rome ce jeudi. Il a été suivi d’un chemin de croix émouvant. Et ce matin, les cloches sont venues entre les nuées de pluie et un soleil malade. Pour terminer la journée, la messe à Trazegnies avec Irène.

 

Ø  23/4/2000. Un petit bout de papier – une phrase d’un ami – des poésies – une idée d’un écrivain parfois m’ont permis de faire un pas de plus dans ma vie.

Un petit moment de bonheur quand je vois mes 5 pettis enfants, qui grandissent, évoluent bien.

Les Mystiques ou Grands Spirituels, Etres libres, ont traversé plusieurs traversées douloureuses. Mais sont capables de grandeur. Et moi, je les admire ! sans les égaler.

 

Ø  Mercredi 25 avril. Visite au hôme “La Peupleraie”. Et que Dieu m’en garde, pour moi.

 

Ø  Prochainement séparatisme et confédéralisme. Laisser faire et prendre patience. Affaiblissement de la représentation de la Belgique au niveau international en tant que pays. Conséquence : fini la paix communautaire. Les partis flamands conduisent en douceur la Belgique vers un divorce douloureux (contre nous, la population !!!!!).

 

Ø  La “Tante Mobile”, baptisée ainsi la 1e fois par Piret Magazine – le responsable Jean-François Meurs – appartient, lui, à la fois à mon histoire, et à une nécessité de survivre. Mais à l’époque de cette trouvaille, personne n’était à même de ME comprendre, de voir de près mon vécu… à la recherche de donner un sens à ma vie, avec les pauvres moyens que toute l’existence m’a offerte.

Ces gribouillages m’ont permis de faire très souvent le point final, et formuler les griefs m’a souvent apaisée, ainsi que râler à chaque visite de mes enfants. Quel rabat-joie cette vieille maman de 84 ans, quelle râleuse diront-ils… Je m’en fiche, je ne serai plus là !!!

Reconstruire un semblant de vie… retourner à Obaix, une dernière envie folle. Est-ce la bonne idée ?

Le plus éprouvant après le départ de Paul est surtout la solitude, souvent mal vécue. Ecorchée comme un petit chat écorché. Toute proche de l’état dépressif quand vient le froid, le noir… l’hiver quoi !

Les relations avec les enfants, qui ne comprennent pas toujours. La recherche d’un nouvel équilibre de vie qui vous fourvoie sur des relations difficiles. Trouver un peu d’espoir et d’énergie pour reprendre la route seule. Il faut trouver la recette en soi-même. Ne pas se laisser enfermer dans le passé. Une tâche, une activité.

 

Ø  Ce samedi 6 mai 2000. Râler … ramer … facettes juxtaposées, à divers moments de votre existence, dont votre expérience de vie, votre vécu s’avère parfois dur, dur. Les espoirs déçus. Chargée de douloureux souvenirs, griffée par de multiples accrochages sociaux, raillée sans discernement, susceptible, la lucidité nous entraîne à paraître “juge et partie”. Tiraillée par les écoutes, les observations du monde qui vous entoure. Vous n’êtes pas dupe, vous êtes vieille, laide, emmerdante, idiote à recycler. Encombrante.

 

Ø  Vendredi 10 mai, à 5h du matin… Il y a 60 ans, les premières bombes nazies attaquaient le champ d’aviation de Nivelles. Mardi 14 mai, 10h, 11h et 12h du matin, bombes et bombes incendiaires pleuvaient sur le centre de Nivelles et sa belle collégiale romane, brûlant la châsse de Ste Gertrude. Mercredi 15 mai. Les bombes achevaient leur sale oeuvre, brûlant, tuant. Les jeunes se réunissaient au parc de la Dodaine, Jules Paesman, Fred, Pierre étaient de ce départ vers le midi de la France.