Tante Colette et l’espérance.
Le jour des funérailles d’oncle Ferdinand, après l’eucharistie au cours de laquelle nous avions évoqué sa vie et ce qu’il était pour nous, tu m’as attrapé par la manche et tu m’as dit, avec ta voix Piret catégorique et forte : “Et à mon enterrement, pas de tout ça ! Parlez-nous de l’espérance !”. Depuis lors, ça fait des années, à cause de toi, j’ai l’oreille qui se dresse lorsque j’entends le mot “espérance”, et je suis attentif à tous ceux qui parlent de l’espérance dans les livres, dans les romans. J’ai recueilli des textes, des réflexions. je t’en offre quelques uns.
L’espérance, c’est en premier lieu l’attente. C’est se mettre dans une attitude d’accueil. Quelqu’un doit venir, quelque chose doit arriver. On tourne le regard et le coeur vers l’avenir. Attente d’une personne, attente d’un événement. Que l’on ne voit pas. En espagnol, attendre se dit “espérer”, il n’y a pas d’autre mot, et même en Français, on peut dire “je t’espère pour demain soir”…
L’espérance, c’est Dieu qui vient à notre rencontre
Quand tu me parles d’espérance, il s’agit bien de la conviction que cette vie est attente, accueil d’une autre vie. C’est l’espérance chrétienne. La conviction que Dieu vient à notre rencontre. Mais j’aime dire que ce n’est pas seulement le jour de notre mort : Dieu vient tous les jours. Nous disons facilement que “nous allons à la rencontre de Dieu”, en pensant que nous allons vers un pays infini, vers l’au-delà. En fait, c’est plutôt cet infini, cet absolu qui vient à notre rencontre. Et cela, tous les jours. Si nous ne croyons pas qu’il vient tous les jours, ce n’est pas la peine d’attendre.
Nous devrions concevoir notre vie comme si nous étions toujours à naître. Et cela, même à 60, 70, 80 et même 100 ans. Penser que nous sommes des prématurés et que nous n’avons pas fini de nous développer. Mais cela ne nous est pas spontané. Nous pensons que nous n’avons plus rien, ou plus grand chose à découvrir. L’espérance est donc le privilège des enfants. L’espérance, pour nous, devient un travail. D’autant plus que je ne sais pas grand chose concernant ce pays infini où, selon Sa promesse, je serai transplanté … Je ne suis pas sûr, mais j’espère.
La racine, modèle de l’espérance
Marie Noël, femme poète, prend l’image de l’arbre et identifie l’espérance aux racines : “La racine n’est qu’espérance, montée patiente dans le noir, vers le jour qu’elle ne sait pas et ne verra jamais, vers la fleur qu’elle ne sait pas et que sa nuit allaite.” Je te vois encore, Tante Colette, dans la grange de Scoote, à Ittre, te lever au moment des intentions de prière, et évoquer de ta voix forte ton papa et ta maman, mes grands parents Adolphe Piret et Julia Tamigneaux, et puis tes frères et soeurs décédés… Un peu comme s’ils étaient la colonne vertébrale invisible mais indispensable et solide de la famille.
Dans « espérance », il y a optimisme, qui n’est ni naïveté, ni pur aveuglement, ni angélisme. Car enfin, quand on vit un peu, il ne faut pas longtemps pour qu’on en prenne plein la figure, et quand on est vieux, on a reçu bien des coups de bâton. L’optimisme naïf et aveugle serait sot. Cependant, je me dis que le pessimisme ce n’est vraiment pas très malin. À choisir, il vaut mieux cultiver l’optimisme.
L’Espérance n’est donc pas un embellissement de l’avenir, mais elle fuit le cynisme. Elle n’a rien à voir avec « tout va s’arranger », mais elle combat les « tout est fichu ». L’Espérance, elle nous est souvent donnée par ces gens qui font face au malheur, à la maladie, à la souffrance, et qui en même temps sentent leurs forces se décupler et leur goût de servir propulsé, pour offrir encore aux autres des moments de joie. Elle est un regard lucide qui ne projette aucune angoisse, même pas sur le malheur. C’est un regard qui s’élève, qui donne à chanter même dans les larmes.
Accueillir l’avenir et recevoir ce que l’on possède
J’ai lu quelque part, j’ai oublié de noter où, cette réflexion : « J’ai appris que l’avenir n’appartenait qu’à lui-même et aucun devin ne pourra venir à bout de ma grande amie, l’espérance ». L’espérance est une amie. J’aime bien cette façon de voir.
Pour Martin Steffens, un philosophe actuel l’espérance est la capacité de recevoir ce que l’on possède déjà. Je cite : “Le drame de l’homme n’est pas de manquer : c’est de ne pas recevoir pleinement ce qu’il a. Chaque jour pourrait ainsi se clore par l’évocation reconnaissante des êtres qui nous sont confiés et dont le goût, par habitude, se perd. Pour retrouver ce goût, il faut passer de l’espoir à l’espérance qui sont deux attitudes différentes face à la vie. L’espoir est attente de ce qui n’est pas encore, l’espérance est attention à ce qui se donne. Celui-ci voit l’avenir, celle-là le présent. Et quand le désespoir débouche parfois sur une déception, l’espérance, elle, reste réception de ce qui, déjà, se donne.” (Martin Steffens, les Essentiels, La Vie 3378, 27 mai 2010).
Dieu aussi espère, et il se met en colère
Finalement, ce qui me paraît le plus éclairant, c’est le fait de découvrir que Dieu lui aussi espère : il croit en nous, et il nous attend… C’est l’image de la Parabole du fils prodigue. Il espère en nous et avec nous comme nous nous mettons en attitude espérante avec un enfant ou un adolescent qui ne grandit plus bien, qui vit l’échec, avec l’élève qui a difficile, qui est perdu et ne trouve pas son chemin… Dans la vie, il faut beaucoup espérer.
Parmi mes lectures sur l’espérance, encore une trouvaille. Elle est de Saint Augustin. Il dit que « L’espérance a deux enfants très beaux : ils s’appellent le courage et la colère ». Là, je pense que cela te ressemble, chère Tante Colette, et cela ressemble à tous les Piret : le courage, et la capacité de se mettre en colère… Tante Odile racontait les colères tout à fait justifiées de Bon papa Piret quand les grands spotchaient les petits… J’entends encore ta voix indignée s’élever pour protester contre des injustices. J’espère toujours connaître ces « colères de Dieu le Père » !
Jean-François