Les carnets de Tante Odile

 

 

Carnet de 1999

 

Ecrire, c’est faire naître et susciter

une autre présence que son “Moi”.

 

 

Ø  … de Quoi nous sommes faits, nous, les Piret, et O. Meurs-Piret ? L’impact des choses, des lieux où nous sommes nés, Arquenne … au coin du bois pendant la guerre 1914-1918.

Ce que nous avons vu, entendu … La petite ferme, le Pont-à-Pierrots, la petite rivière au fond de la maison de Suzanne et Simone !

Ce ne nous avons vu : les saisons, les arbres, les fleurs des bois, leurs fruits que nous avons goutés, sentis.

Le pain cuit, le fumier, l’odeur des bêtes, le lait, le beurre frais. L’herbe mouillée, la chute des feuilles, le printemps et tout son renouveau. Les couchers de soleil, la pleine lune, le ciel étoilé.

La route, l’école, la mise au travail… avant de devenir … argile durcie. Et ensuite “poussière pour l’éternité, emportée par le vent”. Amen !

 

Ø  Ce dimanche 3/10/99. Gouy, dans le silence, les bruits confus de la circulation des automobiles, le toc-toc des souliers au piétinement de l’étage, les voix aigues du “duo” Marie – Germaine. Dans mon 39 m2 quand un furtif rayon de soleil a tout inondé de lumière, … j’écoute le murmure du vent dans les sapins agités et … attends … ? Attendre, (avec) comme fond : le tic tac du réveil qui me dit et me répète le rythme du temps à “perdre” ou à remplir de mon mieux avec patience et parfois de l’angoisse.

Soudain, une traînée de ciel bleu apparaît dans le ciel gris des nuages amenés du sud… C’est l’automne… Je rêve et puis je me suis entendue fredonner la “Petite Musique de Nuit”… Souvenir… Même silence… même attente en pleine nuit… 3h. Le matin, à St Raphaël à Louvain, l’exigence de mon aîné alité voulant sa radio et cette musique … peut-être un de ses derniers caprices !!!!!

Le mien ? qui saura le définir ?

 

Mon bic, ce papier, ces compagnons de mes explosions intérieures, sont devenus “amis et distraction”, consolation ? dans un bouillard d’idées, de souvenirs – succession d’éclairs dans la grisaille des jours solitaires. Le monde organisé est devenu chaos d’idées, ou la vision du laisser-faire ? !!

 

Et proclamer l’UNICITE de Dieu et Jésus le prophète et sa parole qui suggère de fonder les rapports entre les hommes sur l’Amour ?

 

Ø  5/10/99. Le soleil qui chaque matin fait revivre la vie, fait risette cet après midi.

Fière de mes enfants qui sont restés simples malgré compétence et statut social intéressant et une vie plus facile, plus agréable, et aptitude de s’épanouir selon ses dons !

Alors, foin de mes sottes nostalgies… effacer épreuves et difficultés grâce au temps qui sait si bien soigner lui aussi blessures et affronts… L’espérance née avec les années qui passent et guérit.

J’aime mon silence … mon bic.

D’ailleurs, tous les maux dits avec les mots, c’est autant d’espace que ça laisse à la réflexion, et voir la pensée et la sensibilité de l’autre.

 

Ø  “Le soleil” d’Edmond Rostand : “Ô Toi, dont la lumière éclaire chaque demeure, se divise et demeure entière, ainsi que l’Amour Maternel.” (un reste de mes années d’école!). Et l’intuition de St François d’Assise aboutit à ma réflexion aujourd’hui, qui réjouit mon coeur face à la nature. La lumière, le vent, les oiseaux, mes petites bêtes que j’aime observer…

 

Le Vent souffle où il veut

Et toi, tu entends sa voix

Mais tu ne sais pas d’où il vient

Et tu ne sais pas où il va, le Vent.

Demain sera différent d’hier.

 

Ø  Les rappports entre les individus et entre les groupes se transforment. (Pour) résoudre le problème, nos politiciens ont recours à la croissance et à la consommation. Toujours “les sous” le nerf de la guerre. Oui, au respect de l’autre. L’eau, la terre, le feu, l’air sont les seuls éléments, l’héritage pour nous, les hommes de tout l’univers.

 

Ø  A l’homme d’aujourd’hui, moi en premier, souvent angoissée de l’a-venir” !? Et que serait le danger, un repli dans l’isolement, le repli de toute activité !! (Merci à cette gastro-entérite qui me permet de faire le point des 2 semaines passées). Dans l’incertitude des idées qui me sont venues, entre accepter les idées reçues d’hier, poursuivre dans la même direction, ou préparer demain ? Comment ?

 

Ø  Envoi de Piret Magazine ce mardi 12/10/99 à Aurélie (préparation de travaux de fin d’année). Piret Magazine n’a pas que des petites histoires à raconter, ni trop les “départs”, les naissances, les mariages, les déménagements. Drames ou joies ont toujours le même frisson à nous dire. Mais il entend donner vie à une galerie de personnages dont il rassemble les liens qu’ils entretiennent ! Il nous fait vivre et connaître ce que fut au quotidien “pas banal”, ce monde paysan du 20e siècle, “défilé rétro” mais parfois piquant… les origines “Piret”.

 

Ø  Les vrais papas sont ceux qui aiment ce qu’ils font.

 

Ø  Dimanche 18/10/99. La veille du départ de Valérie pour le Bénin. Le soleil est là et aujourdhui est une belle journée. Ecrire, c’est faire et susciter une autre présence que “mon moi”.

 

Ø  Dimanche 31/10. Reprise dans la tourmente des souvenirs, des peurs, des chocs. L’après 10 mai 1940. “Résister”. Thème des travaux (de) fin rhéto d’Aurélie : 1945. Le retour de Papaul et sa lutte pour “survivre”.

 

Ø  Lundi 1e novembre 2009. La visite au cimetière. C’est un de trop ! Remis au 11 novembre prochain. Pourtant, tout paraît calme dans le 39 m2… mais tous les morts proches continuent de rôder, avides à me remplir l’esprit. Adolphe, Philippe, Robert, Françoise, Cécile, tous des jeunes pleins de promesses. Mon papa, maman. Jules Paesman, Adelson, Joseph Thomas. Paul et François. Marie Madeleine, Pierre, Ferdinand, Agnès. Les neveux comme Eric Thomas. Bernadette et Sr Cécile.

 

Ø  Obaix, la petite école, la salle des fêtes, le cercle des amis. Loin de tout cela. Et inconscients du bonheur qu’ils créaient. (Ils) semaient les joies transcendantes du travail manuel… qui nous apparaît aujourd’hui un luxe inaccessible !! (trop vieux, je sais).

 

Ø  Ce mercredi 11/11/99. … Nous sommes au bord de l’abîme. Les pays riches, en route vers l’Europe. Toutes les stratégies, décisions, forcer les portes des institutions, mettront encore un temps fou, si nous renonçons à lutter pour nos idées, nos courages encore et toujours “des projets”. Toujours prêts et vigilants, avec une ultime volonté et énergie. Vivre et vaincre pour voir l’Europe !

 

S’identifier à la mentalité, au paysage de Gouy, aux promenades sans coquelicots ni fleurs des champs. Eté difficile, trop chaud, moche.

 

Voir, écouter, écrire, c’est exister.

C’est aussi l’immense travail pour reviser tous les travers de la “Société de consommation et du Marché capitaliste”. La maladie, la vieillesse, la pauvreté offensent Celui que nous prions, le Seigneur notre Dieu.

… Ce ne sont pas des idées morbides, mais novembre, la visite des cimetières, voir tous les monuments encore accessibles aux souvenirs, proches de leurs vies. Chaque tombe, culte à la mémoire de nos défunts les plus proches.

 

Ø  Travailler est sans doute le meilleur moyen de lutter contre les souvenirs… contre tout ce que vous avez aimé, rêvé. “Rester fidèle à soi-même” face au vide de certaines journées. Comment faire face à l’avenir ?

Il a fallu vivre la communauté d’Obaix pour découvrir les forces et les réalités des familles et des majorités qui vous rendent … (ndlr : il manque un mot) et qui travaillent pour modeler votre destin. “Apprivoiser ses peines et ses joies” pour tenir débout. Seule à décider, à faire preuve de courage et … d’indépendance.

Au coeur du silence, dans la grange (de Gouy où elle réside alors, ndlr), cette masse rude de pierres, briques et bois mal équarri, … l’Esprit Saint, l’esprit de famille, glissaient “Dans le Vent”.

Le meilleur souvenir de cette fin de siècle, de 83 années de vie, dans cet avaloir d’adaptation parfois douloureuse, parfois de parfait bonheur, dans une évolution qui, aujourd’hui, me dépasse ! Les abandons d’amitiés qui ont semé le parcours de tante Mobile.

 

Ø  Ce 11.11.99, dans l’attente d’Irène… Je n’ai jamais demandé ni fortune, ni grand âge ! (Mais) que je garde l’intelligence nécessaire pour faire face à l’avenir, nécessaire pour trouver le chemin de la paix et savoir discerner le bien et le mal. C’est mon plus sincère souhait, malgré échec non voulu, malgré votre bonne volonté. Par exemple :

Le souvenir de la première visite de Papaul, après ses cinq années de captivité en Prusse orientale ; enfermé dans un mutisme, assorti de son regard poliment narquois quand, par quelque réflexion, il déstabilisait son entourage ! “Ses petites guêtres jaunes de 1936 !”.

 

On a l’impression d’avoir été utile. La différence de génération ne m’intéresse pas. J’aime les jeunes tels qu’ils sont. D’ailleurs, j’ai la conviction que si les adultes n’avaient pas démissionné, on connaîtrait beaucoup moins de violence !

 

Face à la vie, de toute façon, … la poussière tombe !

 

La couleur que j’aime : blanc – vert brun – ocre.

 

Ø  Débouchant sur la solitude, sans projet, une somme d’interrogations envahit notre tête où cohabitent “sens de la vie”, la mienne, et perspective de la mort, ouvrant le champ à tous les possibles.

À la recherche de la liberté : et les conditions de libre arbitre ? Recherche sans trève et résolument optimiste, “consciente des autres”, digne, simple, sans orgueil excessif ! C’est le sens donné à ma vie. “Je suis”.

 

L’éducation religieuse d’un temps qui a fait son temps. Epais manteau de formalisme et conception surannée. Aujourd’hui, fini l’obligation de la messe dominicale. L’enfant choisit au moment de son choix volontaire, le temps de se former et de comprendre. “Je suis”. Me connaître.

 

Dieu n’est pas solitaire, la voie la plus simple de la connaissance de Dieu, c’est observer l’humain, “l’autre”, désir de communion, relation d’amour entre les hommes, et la Trinité – comme art de vivre.

 

Je suis… Tante Mobile, en 2000, 84 ans. Comprendre le lieu des sentiments, comprendre leurs signes et les réactions auxquelles ils donnent lieu. C’est trouver l’humain, l’homme.

 

Je suis celle que mon enfance a faite, ce que maman et papa, une famille nombreuse, des études moyennes dirigées par les Soeurs de l’Enfant Jésus, sévères, m’ont fait apprendre : plus de savoirs que de plaisirs, le travail de l’esprit et des mains, l’initiative face à la réalité sociale.

 

Ø  (ndlr : en voyant les photos qui passent de famille en famille pour faire un choix) : Ittre, 1999. Là se sont réunis l’esprit des morts – rappelés par tante Colette – afin que l’au-delà soit présent au coeur de l’ici-bas. Un symbole : les jeunes bâtisseurs au pied de l’autel, la pyramide de terre grattée dans la terre battue de la grange par leurs toutes petites mains, entourée de cailloux, la plume de poule en garnissait le sommet.

Que Dieu bénisse cette famille Piret, et qu’ainsi se renouvelle notre Alliance avec Lui. Que le Seigneur soit avec nous comme il fut auprès de nos ancêtres. Qu’il ne nous abandonne pas. Qu’il incline nos coeurs vers Lui, afin que nous marchions sur le chemin où vit son nom. (assistance priante et émue).

Les deux gros cochons à la broche seront consommés lors du gigantesque repas dans la cour de la ferme.

 

·         ndlr : pendant l’eucharistie, lors de la fête Piret à Ittre, Cyril et Remi, 4 ans ½, et d’autres enfants ont fait, juste devant l’autel, un tas avec la terre battue de la grange, y ont planté une plume, et l’ont entourée de murs de poussière et de cailloux.

 

Ø  Hier et aujourd’hui, le rôle de l’église, par la voix du curé (de Gouy) Marc Leplat : il cite les saints comme exemple, et leur témoignage adressé à nous, ses fidèles. Attention … ; les journaux, maintenant, proposent des modèles à leurs lecteurs. Mais les héros à admirer, à imiter, ça ne court pas les rues. Enjoliver la réalité, ou taire l’essentiel. A votre jugement !

 

Consommation et jouissance. Nous n’avons pas conquis plus de liberté. Ces géants d’aujourd’hui (Microsoft, Time Warner, Bertelsmann, Virgin, Walt Disney) sont les nouveaux déguisements du capitalisme.

 

Aujourd’hui être chrétien ? Rien ne sert de trop parler de religion. Mais simplement la vivre. La force de l’exemple.

 

Ø  Les arbres. Mon carré de peupliers à Gouy. Pour symboles de la vie. L’arbre ancre ses racines dans un monde souterrain, à partir d’une seule petite graine. Il traverse la terre, il s’élance vers le ciel par ses branches. Ce sont les trois régions fondamentales de toute vie.

L’arbre donne alors l’image de la sagesse, de la puissance. Tous les moments de notre vie, de la naissance à la mort, sont rattachés à la symbolique.

J’aime mes arbres, dont j’aperçois les cîmes. Ils dressent dans le vent leurs branches dénudées par la pluie, la neige, la glace.

 

Ø  Tempête du grand âge : solitude. Mais trouver de quoi nous émerveiller. La première neige, un soleil couchant à travers les troncs d’arbres dénudés. Etre heureux dans les grands espaces et les larges horizons.

 

Ø  Le plus dur n’était pas d’arriver à Obaix en Hainaut, mais de quitter Baulers, Nivelles en Brabant.

Tous ceux qui m’ont connue tous savent bien que je cultive volontiers le coq à l’âne. Volontairement parfois. C’est à mon avis la meilleure façon de rompre les chiens quand une émotion risque de devenir trop envahissante, trop dure.

Aujourd’hui, pouvoir m’orienter parmi les idées et dans “mon histoire”. Le marquer, le rythmer… le sortir de la monotonie. La fête, c’est cela : l’anti-quotidien.

 

Ø  Pour moi, toute la tradition n’a de sens que dans une perspective de rajeunissement permanent. Reste accueil, bienveillance, bonté et porte ouverte aux “jeunes” surtout. Service fidèle à l’Eglise pour ENSEMBLE oeuvrer longtemps, sincèrement.

 

Ø  Décembre 1999. Un frère des écoles chrétiennes de Nivelles, reçu chaque année par maman (poules et beurre pour tombola) :

Celui qui prie élève son âme (sensibilité, pensée) : long bras vers le ciel.

Celui qui ne prie pas se damne : bras vers le sol.

Avec ses grands bras, cela nous impressionnait. Il nous devançait avec son vélo et nous attendait. C’est loin tout ça, mais ça marquait !

 

Ø  10/12/1999. La vérité est au fond d’un puits, pas au fond du fumier !

Quand vous causez avec quelqu’un, n’écoutez pas ce qu’il dit mais ce qu’il pense.

 

Ø  Croire en “Dieu”. Il n’existe aucune argumentation scientifique qui prouve à 100 % l’existence de Dieu. En dernier ressort, chacun doit prendre une décision personnelle. Le grand penseur Pascal m’y a fait penser : “Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas”.

Le siècle passé, 20e, a été une génération de lutte contre la religion. C’est plus intéressant que l’indifférence. Celle-ci est beaucoup plus grave : alors, les sectes arrivent. Pour y faire face : la vie des chrétiens comme exemple ou témoignage, comme François d’Asise.

Le Concile de Jean XXIII, 1962 : Ouvrez les fenêtres, ouvrez les portes, nous devons sortir et aller à a rencontre des hommes.

Mais les églises ont tendance à se replier, se centrer sur le culte. Il faut redistribuer des rôles (des biens ?).

L’idée de Dieu change : non plus puissant, père, mais miséricorde, Dieu ouvre ses entrailles pour nous. Respecter les religions des autres en approfondissant la religion chrétienne, la nôtre.