Eucharistie pour Tante Odile

19 mai 2010

 

Introduction

Tante Odile a beaucoup aimé cette église d’Obaix. Elle s’est réjouie lorsqu’elle fut repeinte, devenant plus lumineuse. Elle a surtout été active pour sa communauté paroissiale. Ainsi, elle a été tant qu’elle le pouvait cheville ouvrière de Vie Féminine. Sa foi a été active et entreprenante.

Cette église est aussi le lieu où elle a prié ses joies et ses peines. Le baptême de ses enfants, leurs mariages. Les funérailles d’Adolphe et de Papaul, ainsi qu’elle l’appelait. Elle croyait très fort à cette communion entre tous les vivants, et cette communauté mystérieuse avec ceux qui nous ont précédés dans le Seigneur.

Cette eucharistie sera un témoignage de sa foi. En effet, non seulement elle est présente derrière les textes et les chants choisis, mais nous entendrons des prières qu’elle a écrites de sa main, certaines sont sorties de son imagination fertile, d’autres simplement recopiées dans un carnet où elle notait ses réflexions et qu’elle m’a confié il y a quelques années.

Prière

  • Demandons à Jésus et à Dieu son père, la grâce, car c’est un don, de devenir vrai, humble, conscients de nos pauvretés, et d’être en humour devant l’épreuve.
  • Assiste tes enfants, Seigneur, et montre à ceux qui te prient ton inépuisable bonté. C’est leur fierté de t’avoir comme Créateur et Providence. Restaure ta Création et protège-là. Ainsi soit-il.

Homélie

La vie de Tante Odile a été une illustration de ce texte de la multiplication des pains.

Elle me faisait un jour le commentaire du texte de la Genèse où Dieu donne à Adam son commandement : “croissez, multipliez-vous”. Elle disait : “allez ! multipliez vos bras ! Agrandissez-vous, soyez créatifs, imaginatifs !” En faisant de grands gestes avec ses bras. Elle pouvait bien parler ainsi, elle qui a tant travaillé de ses bras et de ses mains, et qui se réveillait la nuit en pensant : comment vais-je nourrir aujourd’hui toute la smala Meurs ? Il ne s’agissait pas seulement de fournir les calories nécessaires pour refaire les forces, mais d’accommoder les légumes et de préparer de bons petits plats qui feront plaisir.

Elle écrivait, dans ce carnet que j’ai évoqué : “Avoir considéré mes 84 ans et les multiples activités… comme un sport, et une vie motivée qui peut passer pour de la suractivité… Notre communauté Meurs, 21 personnes à nourrir. Obligé que j’en fasse un petit peu plus, un petit peu plus vite, et si possible toujours mieux”.

Ce qui était vrai de sa vie active l’était tout autant de sa vie affective et intellectuelle. Elle ajoute un peu plus loin : “J’aborde ces nouveaux gribouillages avec cet esprit de m’améliorer, de réfléchir plus.”

Ainsi, sa vie a été un art de multiplier les pains, grâce à la générosité et au partage. D’ailleurs, elle aimait une certaine interprétation du récit de la  multiplication des pains : des commentateurs expliquent que tous ces gens, qui sont des paysans, étaient sûrement prévoyants, et qu’ils avaient toujours avec eux une besace qu’ils cachaient dans leurs larges tuniques et leurs amples manteaux. Ils y mettaient une poignée de dates et d’olives, un quignon de pain, une fiasque d’huile et peut-être même une petite outre de vin… Et ils ne voulaient pas sortir tout cela devant tout le monde, parce qu’ils n’avaient par envie de partager. Le miracle de Jésus, est d’avoir fait comprendre l’avantage du partage : non seulement on a en suffisance, mais c’est plus varié, et cela peut même créer une atmosphère de fête. Et il a eu pour cela un petit complice merveilleux, un enfant, un jeune garçon, qui ne jouait pas encore le jeu de l’égoïsme, mais qui, spontanément, naïvement, a offert ses cinq pains et deux poissons. Et les autres, alors, un peu honteux, mais aussi stimulés par les paroles enthousiasmantes de Jésus, n’ont pas osé faire moins. Tout le monde s’est mis à partager, et il y a eu finalement des surplus…

Bien sûr, elle ne rejetait pas vraiment une multiplication inexplicable selon les lois de la nature. Elle savait bien qu’avec Jésus il y a toujours plus que de la psychologie humaine et autre chose que de la sociologie. Mais elle retenait surtout de ce texte l’idée que le partage est plus fécond, permet d’aller plus loin, crée un monde plus juste, plus fraternel, plus grand, plus abondant aussi.

D’ailleurs, elle a été cet esprit rebelle qui a toujours voulu jouer un autre jeu que celui d’une société égoïste.

Cette idée du partage, et l’idée aussi de grandir, de faire plus, de multiplier la vie, a été ce qui l’animait dans son activité pour Vie Féminine, ici dans sa chère paroisse d’Obaix, et jusqu’à La Louvière avec les dirigeantes du mouvement. Elle se souciait de multiplier les bonnes idées, de multiplier les contacts, de faire grandir les esprits en les ouvrant aux grandes idées de l’Evangile. Je l’ai entendue plus d’une fois vitupérer et dire : “mais comment peut-on avoir aussi petit esprit ?”, “comment peuvent-ils se contenter de vivre si peu grand ?” Son féminisme était pratique : il fallait ouvrir, améliorer la vie de beaucoup de femmes. Cela passait par la réflexion et par l’action. Sa foi était sociale. Une foi qui voulait voir du changement concret sur le terrain. Voir, juger, agir, elle reprend la méthode ouvrière du chanoine Cardijn, mais elle enrichit la formule : “observer-sentir-toucher, juger, agir…”

Elle souriait à propos d’un chant religieux d’autrefois : “Je suis chrétien, voilà ma gloire, … et mon soutien …”. Elle commentait : “Il est plus facile de vénérer et de louer et de rendre le culte que de ‘philosopher’. Aujourd’hui, il faut oeuvrer en témoin par un dialogue vrai, par une collaboration faite d’expérience, par une fructueuse réflexion sur les problèmes concrets de la vie quotidienne.”

Sa foi était sociale, et pas dogmatique. Les dogmes avec des formules arrêtées, il n’y a rien de tel pour créer le doute ! ça fait douter. Mais dans une foi sociale, il n’y a pas de place pour le doute : plus cela paraît difficile, impossible, – mais plus cela paraît juste ! -, plus on est acculé à croire, à faire confiance. Faire confiance à Dieu, et donc faire confiance aux humains que Dieu a créés. Son optimisme était ancré dans sa foi en Dieu qui permet de parier sur l’humanité.

C’est pourquoi elle écrit : “En vieillissant, ma foi est renforcée. 1°, par les derniers jours de PaPaul. 2°, elle est moins intellecuelle, plus dans le coeur, dans le corps et sa dignité.” Et elle ajoute : “La foi, une nécessité à la survie ! Qui apparaît comme une qualité d’être, une humanité plus grande, une présence à soi et à l’autre élargie de patience critique et de mansuétude certaine.”

Elle voulait aussi une foi éclairée : “Fréquenter l’Eglise, “oui”, mais avec des prêtres et des laïcs compétents, qui ne séparent pas la foi et la raison. Pari sur l’avenir ? Espoir et espérer.”

Elle écrit : “Lire éveille l’âme.” De la même façon, elle savait que l’Evangile avait ce pouvoir fort d’éveiller son âme à elle et les âmes des autres.

J’aime bien cette vision de la foi comme un éveil à la vie. Tante Odile a vécu “éveillée”, et même souvent émerveillée, car attentive aux petits miracles. Et donc, la résurrection, cela fait longtemps qu’elle la vivait. Quand nous penserons à elle, pensons qu’elle nous veut éveillés, si bien que notre résurrection commencera dès aujourd’hui.

Jean-François
Ce 19 mai 2010