Tante Odile, de A à Z
Reprise, augmentée, de l’article du Piret Magazine n° 5 consacré à Tante Odile.
A
comme Arquennes, où elle est née le 10 avril 1916. Arquennes, premier point d’ancrage pour ses souvenirs, première maison à aimer, passionnément, comme toujours avec elle. On ne peut l’imaginer, déjà, que mobile, espiègle, avec son petit noeud de travers dans les cheveux en bataille à force de courir dans la prairie et les cailloux du chemin, avec la bouche mauve des mûres écrasées avec un plaisir goulu… “Comprendre l’esprit de cette ferme de notre enfance, au milieu des champs, de ses prairies, et de ses animaux familiers. Pays de la pierre”.
“De quoi nous sommes faits ? Nous, les Piret, et Odile Meurs-Piret… L’impact des choses, lieux où nous sommes nés. Arquennes … au coin du bois pendant la guerre 1914-1918.
Ce que nous avons vu, entendu : la petite ferme, le Pont à Pierrots, la petite rivière au fond de la maison de Suzane et Simone !
Ce que nous avons vu, les saisons, les arbres, les fleurs des bois, que nous avons senties, leurs fruits que nous avons goutés.
Le pain cuit, le fumier, l’odeur des bêtes, le lait, le beurre frais. L’herbe mouillée, la chute des feuilles, le printemps et tout son renouveau. Les couchers de soleil, la pleine lune, le ciel étoilé.
La route, l’école, la mise au travail… avant de devenir argile durcie… Et ensuite “poussière pour l’éternité, emportée par les vents”. Amen.” (Carnet 1, octobre 1999).
comme Action : une valeur première dans sa vie, car si Odile aime comprendre, observer, apprendre, jamais elle n’en reste là. Ce que l’on sait doit être mis en pratique ; les idées, la façon de voir, cela s’incarne. Il faut agir. Sa “mystique”, c’est le concret !
B
Comme Baulers, bien sûr, ses “cailloux”, comme elle aime le dire. Là aussi, comme partout où il y avait quelque chose à vivre intensément, elle s’est attachée.
Comme “bizelôte” : c’est ainsi que son papa l’appelait, à cause de sa façon de courir partout, de mettre de l’agitation, de rouler sa bosse curieuse de tout, imprévisible (le mot “bizelôte” vient sans doute du mot gaulois “bisôn”, qui donne le liégeois “biser”, courir, driller, s’élancer avec impétuosité, aller rapidement. Le dictionnaire aclot donne “bîser”, courir follement, en parlant des vaches qui, harcelées par les mouches, s’enfuient en battant l’air de leur queue. On reconnaît bien là l’esprit de Bon Papa Piret, caustique, qui sanctionne d’un mot définitif !).
C
Comme Cicatrices : celles que la vie laisse chez chacun. En voici une qu’elle confie, à propos de PaPaul, son fiancé, qui fut prisonnier en Allemagne : “A son arrivée, après cinq ans, ses traits étaient devenus plus durs, plus anguleux … On aurait dit qu’il avait perdu une partie de son être de 1940 … la bonne ! Celle qui fait les êtres disponibles et tendres !”
D
Comme Déménagements et Décor. C’était tante Odile qui orchestrait à Obaix les grandes opérations périodiques et régulières de déménagements, nettoyages de printemps. Le grenier, la cave, les chambres. Ces grands chambardements avaient pour but de ranger, de rafraîchir … Bon gré mal gré, il fallait que les choses changent de place, poursuivies par les brosses et les seaux d’eau. Plaisir des débroussaillages du verger, du jardin. Opérations peinture et tapissage. Elle ne faisait pas tout, mais elle mettait tout le monde en mouvement : l’art et le goût de faire faire… Si on ne peut changer toute sa vie du jour au lendemain, on peut quand même changer de Décor. Le mot est arrivé tout seul et naturellement. Tante Odile aime faire du décor !
E
Comme Entière, Enthousiaste et Energique : pas de demi-mesures ! Quand on y va, on y va ! Et on y va souvent ! à fond ! Et tant pis pour les détails. Parmi les huit types proposés dans l’Analyse du caractère” de Le Senne, le type “colérique” – attention, le mot n’a pas la connotation que nous lui donnons aujourd’hui – correspond assez bien : “Généreux, cordiaux, pleins de vitalité et d’exubérance. Optimistes, généralement de bonne humeur, ils manquent souvent de goût et de mesure. Leur activité est intense et fiévreuse, mais multiple. Ils s’intéressent à la politique, aiment le peuple, croient au progrès et sont volontiers révolutionnaires. Souvent doués d’aptitudes oratoires et pleins d’impétuosité, ils sont des entraîneurs d’homme. Valeur dominante : l’action.”
F
Comme Franc-parler. Directe, ce n’est pas son genre de tourner 20 fois sa langue dans sa bouche. Elle dit ce qu’elle pense au moment où elle le pense et comme elle le pense. Elle pense tout haut, dans l’action. D’où le versant inévitable d’une qualité indéniable : une vocation de paratonnerre. Plus d’une fois étonnée de la réaction qu’elle avait provoquée.
G
Comme Généreuse. Cela va avec le reste. Elle donne sans compter. Prenant le devants, cherchant à faire plaisir. “J’aimais autant ne pas manger et aller vite cueillir des cerises pour tout le monde, parce que j’avais vu qu’il n’y avait pas de dessert”, raconte-t-elle à propos de Baulers.
H
Comme Hospitalité. Le goût de recevoir. À Obaix, nous étions nombreux, mais ceux qui venaient en plus, enfants ou adultes, cousins ou voisins, n’étaient jamais “de trop”. Elle faisait asseoir sur le banc devant le bol de café (Monseigneur Descamps a été traité de la même manière le jour du baptême de Marie Antoinette), avec le fromage blanc, le pain remonté de la cave, et le beurre de la ferme. Et quand il y en avait, le morceau de tarte au sucre. Et à la fin de l’été, le bocal de cerises macérées dans l’alcool, ou la liqueur d’angélique (il y avait un plant au fond du jardin). Tante Odile est une version nordique de la “mamma” italienne.
I
Comme Imaginative, Inventive. Porte ouverte à la fantaisie. Combien de fois ai-je entendu l’oncle Paul dire : “Qu’èst-ce què vo-z-avès co intvintè ?”. Oui, son imagination a toujours guidé sa façon d’appréhender et d’aborder le monde et les autres. C’est une forme bien particulière d’intelligence. A ce propos, voici un proverbe chinois qu’elle m’a envoyé inscrit sur une bandelette de papier : “Ce qui compte d’abord chez l’homme, c’est l’esprit qui l’anime. Loin derrière vient l’intelligence”.
J
Comme Jeune. Car avec son goût du changement et sa curiosité passionnée, elle reste remarquablement dans le coup. Et surtout, elle prend volontiers parti pour les jeunes et elle les encourage.
L
Comme Lutteuse. Elle a toujours combattu, et se résigner était bien la dernières chose à laquelle elle ne penserait même pas. Même s’il a parfois fallu accepter, se conformer aux évènements …
M
Comme Mémoire. Dans le tourbillon de ce qu’elle a vécu, elle a pris le temps d’enregistrer quantité d’anecdotes et de détails. Une mémoire affective, mais souvent sûre, qui m’a permis d’identifier des photos, et surtout de récolter beaucoup de récits autour des Piret de Baulers et de Nivelles. Piret Magazine lui doit beaucoup.
N
Comme Nivelles. Le centre du monde selon Piret et Tamigneaux. Avec la Cense de La Loge et la Petite Cense près du Bois du Sépulchre, le faubourg de Soignies et le Panier Vert, le boulevard Charles Van Pé, le tour de Sainte Gertrude et la collégiale, la tarte al djote et le langage aclot, la quincaillerie Hanne, la Dodaine…
O
Comme Obaix. Trente ans à la ferme, dix ans à la rue Commune, et les dix dernières années à la Commune, puis à la Buscaille. “Souvenirs… Pendant 30 ans, à la ferme : ces 21 personnes à nourrir, l’obsession de la nourriture à prévoir. Une nourriture saine et équilibrée, à petit budget. Dans ce rôle de mère, il m’arrivait au cours d’insomnies, de réfléchir – non à Dieu – mais aux légumes, viandes qu’il me fallait préparer le lendemain pour la smala… et ces idées occupaient de nombreuses heures de la nuit. Dans ce rôle dépourvu de spiritualité, je me traitais parfois d’imbécile ! Le désir d’offrir à ses enfants des repas variés et joliment préparés me poussait à donner aux autres tout ce que je possédais. Aventure originale ? En aucune manière : ces 30 ans m’ont procuré une gamme de sensations, de situations que jamais je n’eusse montées par mes propres moyens, quelle que fusse mon imagination… Et avoir agréablement vécu ce temps des illusions ! Aujourd’hui, sans inquiétude de mon avenir de vieux pensionnés, mais délicieusement inutile… excepté quand le soleil luit, que le jardin m’appelle et qu’il fleurit !”
P
Comme Papaul. Une relation originale, de deux être tellement différents, et bien au-delà de la tentation de la complémentarité idéale. Chez elle, l’étincelle, l’intuition. Chez lui le cadre, la mise en forme, qui canalise et qui permet une réalisation durable.
Comme Papa Piret. Pour qui elle a un attachement profond et critique, fait d’admiration pour son sens intransigeant de la justice envers les “p’tits qu’on spotche”. Admiration aussi pour celui qui n’avait aucun certificat d’études, mais qui s’est fait tout seul, autodidacte. Tendresse pour un papa “original”, au réactions vives, imprévisibles, comme elle ! Physiquement, Tante Odile est une Tamigneaux. De tempérament, elle est, elle se sent, elle se revendique Piret. Elle écrit dans son carnet, pastichant Jésus dans l’évangile de Jean : “Qui me voit voit mon papa !”
Q
Comme Quitter. On la disait “Tante Mobile”, entre autres à cause de ses déménagements, et de son besoin de changer. Et pourtant, elle a eu difficile aussi de quitter. Quitter Arquennes. Quitter Baulers, une enfance et une jeunesse heureuses. Quitter la ferme d’Obaix pour laquelle elle avait tout donné. Quitter aussi le Borneau, mine de rien… Et si elle se réjouissait de l’avenir, elle avait aussi difficile de quitter une époque. Elle regrettait celle où le travail était une des clés de l’éducation.
R
Comme Repassage. “A 20 ans, une fois par mois, le repassage des chemises de mes quatre hommes, papa et mes trois frères. Dix minutes par chemise … en une heure, cela faisait 6, et en un jour 48 (quarante-hui ! 4 x 3 chemises par semaine !). Cela m’a donné la nausée chaque fois que s’annonçait la lessive !”.
S
Comme Sentimentale et Sociale. “Les Piret sont sentimentaux”, répète-t-elle. Comprenez qu’ils n’agissent pas par calcul. D’où une sensibilité “sociale”. Et oncle Ferdinand renchérit et la traite de “socialiste” et même “communiste” ! Tante Odile a la fibre de l’engagement. Mais comme elle le dit, elle a appris cela de son papa et de sa maman engagés dans la vie paroissiale, dans Vie féminine. … Vie féminine : l’un de ses combats. Pas féministe, elle n’y eut pas songé. Mais d’instinct, une femme qui prend et qui tient sa place, sans vains états d’âme bourgeois sur le malheur d’être née femme (loin de Simone de Beauvoir).
T
Comme Trépied. Bonne Maman Tamigneaux appelait “le trépied” le trio que formaient ses trois filles Marie-Madeleine, Odile et Célina. La première têtue et rétive, et la troisième qui faisait des bétises (elle a bu du café à la buse de la cafetière et a eu la gorge brûlée). Célina qui mettait au défi, jouait des tours. Elle faisait monter Odile dans l’arbre puis faisait tomber l’échelle d’un coup de pied ; elle jetait le mouchoir d’Odile dans les orties, puis la poussait quand celle-ci voulait le récupérer. Lasse des disputes, Bonne Maman a décidé de les séparer. C’est ainsi qu’à partir de 1921, Odile a passé près de deux ans chez les tantes Maria et Célina Lavianne au Faubourg de Soignies. Bon Papa allait leur porter du beurre, des oeufs, du fromage, ce qui était pour elles une aide pour vivre. Ainsi, Odile est allée à l’école du Béguinage, tandis que Célina allait à Arquennes.
U
Comme Utopie. Dans le sens positif du mot : le rêve d’autre chose, du meilleur, qui met en route, qui mobilise les forces.
V
Comme Vieillir. “Lentement un jour vient où nous ne pouvons plus envisager une vie active. Nous continuons à vivre, nous faisons de notre mieux avec ce que nous sommes devenus, les activités au ralenti.” Et encore : “A septante ans, quand je me suis rendue compte de la vanité des efforts que j’avais fait. Rien qu’en y songeant … Est-ce une réussite ? Qui me le dira ? …”
Comme Vert. Certains ont la main verte, comme on dit. Tout ce qu’ils plantent pousse. Tante Odile a le “pied vert” : comme elle ne peut plus se baisser, elle tape les fleurs à repiquer sur la terre remuée, et elle pousse avec son pied et sa pantoufle. Et tout repousse !
W
Comme Watt, la puissance, l’énergie : voir “Déménagement” et “Energique”…
X
Comme Xéranthème. À cause de son goût pour les bouquets séchés. Les immortelles étaient suspendues au grenier, avec les épis de blé. Dans le grand jardin d’Obaix, le long de la clôture, il y avait des physalis ou alkékenges, qu’on appelle aussi lanternes chinoises, d’un beau rouge. En fait, elle avait une passion pour tous les bouquets. C’est sa passion du décor, son instinct de remodeler le monde, d’y laisser sa marque. La valeur esthétique était parmi les premières chez elle.
Y
Comme Yeux. Si maman était, à la ferme d’Obaix, l’oreille attentive qui écoute et garde tout en son coeur, Tante Odile, ce sont ses yeux pour chercher comment faire plaisir, des yeux pleins de curiosité.
Z
Comme Zakouski. Variée. Apéritive.
Jean-François