Cousine Octavie face au rexisme en 1937.

Il nous a semblé intéressant de faire connaître la réaction de quelqu’un de la famille face au rexisme, il y a plus de septante ans, une question qui a certainement été cause de chauds débats en famille à la veille de la guerre. Cousine Octavie ne datait pas toujours ses lettres. On peut situer celle-ci grâce aux allusions à la lettre du Cardinal condamnant le mouvement rexiste deux jours avant les élections d’avril 1937 : “Au sujet de Rex, nous sommes convaincus qu’il constitue un danger pour le pays et pour l’Eglise. Par conséquent, le devoir de tout catholique loyal dans l’élection du 11 avril est clair et toute abstention doit être réprouvée.”
Après le débat politique, elle s’aventure sur le terrain ecclésiastique dans la région du Centre. Il est bon de rappeler que Pierre Dubois, devenu Père Albéric à l’abbaye de St Sixte, avait été vicaire à Strépy avant la guerre de 1914.

Mon bien cher Pierre,

Les journaux t’auront appris mieux que moi le résultat des élections. J’ai été si bousculée ces jours derniers que je ne trouvais pas un instant pour me recueillir. Mais à Bruxelles, l’agitation, la propagande avaient été frénétiques et il était temps que la période électorale finisse, sinon chaque intérieur, chaque rue étaient livrés aux digressions les plus batailleuses et à un spécimen de guerre civile intestine qui dressaient frère contre frère et voisin contre voisin. De plus, l’autorité diocésaine ayant parlé en tout dernier instant, l’obéissance des catholiques était éprouvée et éclairée peut-être brutalement mais sincèrement. Gouverner c’est prévoir et certes, les chefs ecclésiastiques peuvent mesurer à l’aune des pays environnants le danger de la dictature ou des projets trop hardis de nos zélés rexistes. J’aimerais mieux aborder ce sujet de vive voix que par écrit car il est multiple, contradictoire, entreprenant mais sous réserves.

Nous sommes à la bifurcation des routes et l’hésitation nous ferait prendre le chemin des erreurs. Et cette adhésion à la volonté manifeste de nos pasteurs est un signe que les Belges avant de tenter l’épreuve du fascisme, sont encore conscients d’une force divine qui les conduit. J’ai entendu tant de commentaires que je puis te dire qu’un peuple, ou sa moyenne qui se plie à des directives du dernier instant a autant de bon sens que de jugement. Et son attachement à ses libertés religieuses ne souffre pas qu’on les altère, qu’on les diminue, et qu’une menace d’insécurité lui enlève la confiance en ses chefs. Voilà la réaction des tout derniers instants. Le cardinal avait parlé, le plus beau rôle eut été de se retirer pour garder une soumission catholique. Persister, c’est créer le schisme et c’est l’origine de bien des hérésies sans doute. Nous allons suivre de près la continuation des changements apportés à notre législation.

Ce dimanche 18, je rentre d’avoir été jusque Nivelles. Tante Célina se voûte et vieillit très fort. J’ai pu apprécier au cours des quelques heures passées près d’elle tout l’attachement qu’elle a pour nous et la compréhension très grande des peines et des épreuves d’autrui. La semaine dernière je suis allée à Fayt avec Odile. Nos bons parents vieillissent en paix et tous, eux et Tante et Mon Oncle Jules t’envoient leurs meilleurs souvenirs affectueux.

Je suis allée jusqu’à Strépy. On va agrandir la chapelle des soeurs, tu as leur fidèle amitié et pendant de bons instants nous avons rappelé les souvenirs anciens. Il y a un tas d’intrigues là bas et M. Marivoet aurait voulu rattacher l’Avaleresse à Bracquegnies. Les habitants s’y sont opposés. Les soeurs n’avaient rien à dire ne s’immisçant pas dans ces palabres et en fin de compte le charbonnage s’y est opposé auprès de l’Evêché. Quels que soient le mérite et la difficulté de la règle, ah, mon cher Pierre, comme je t’aime mieux à l’abri des marchandages multiples dans lesquels ceux de ton cours et de ta génération se complaisent. Comme Doyen de Lens, Maine Seutin nous a dit le marasme des oeuvres de René Van Haudenaerde et quantité d’intrigants qui environnent les autorités diocésaines. Excuse-moi de te dire ces choses, mais je les ai connus un peu tous, et ils réalisent si bien ce qu’ils avaient en formation et en caractères comme tu nous les dépeignais…

J’ai revu irma Schmidt, l’ex femme d’Henri Pilette, car ils sont divorcés. Elle s’est laissé prendre en adultère et 20.000 f pour déguerpir et lui laisser la paix, sans aucune pension alimentaire. Voici ce qui lui reste après 22 ans de mariage, vie commune avec tous les beaux-parents, etc. Fallait-il qu’elle ne connût pas la valeur de l’argent celle-là, pour risquer une situation très enviable.

Mon cher Pierre, le fromage est bien arrivé l’autre jour : fais-moi le plaisir d’en envoyer un encore par retour du courrier ; en acquittant les 20 f de l’autre, je joins tout ce que j’ai de billets de 5 frs en accompte sur celui-ci. Nous le trouvons excellent.

Ce sont presque toutes (les nouvelles).

Octavie