1940, le périple des garçons
Le lundi 13 mai, le Centre de Recrutement de l’Armée Belge, avait donné l’ordre à tous les hommes de 16 à 35 ans de se rassembler pour être évacués vers la France. Le 14 au matin, Alfred et Pierre Piret, auxquels se joignent Jules Paesmans et Léon Maillet, se rendent dès l’aube sur la place St-Paul, puis embarquent dans un train à la gare de Nivelles Nord. Le train part très en retard, mais heureusement – de justesse – avant le bombardement de la ville.
Ils ont leur baluchon fait de quelques vêtements, et de quoi se ravitailler : chacun un pain, coupé en tranches et garni de jambon, et une gourde. Il ont pris place dans un wagon de 3e classe jusqu’à Roulers. Après y avoir passé la nuit, ils embarquent dans un wagon de marchandises, ou à bestiaux, c’est pareil. On peut s’étendre et somnoler, chacun dispose de ses 60-70 cm. Le train roule très lentement, il y a de fréquents et parfois longs arrêts sur une voie de garage, souvent au bout de la gare. Dès qu’il y a moyen, on descend pour remplir sa gourde d’eau, mais on n’est jamais sûr du temps d’arrêt. Durant tout le trajet, il n’y a aucun ravitaillement, mais comme on n’a pas beaucoup d’appétit, on tient le coup durant les 8 jours que dure le voyage. Et comme ça, on ne doit pas beaucoup aller à la toilette.
A ce propos, il y avait un certain Michiels qui descendait à chaque arrêt pour aller se soulager. Les autres lui criaient toujours : « On te voit ! ». Il se relevait, allait plus loin, et on criait toujours : « On te voit ! ». Finalement, il n’a jamais pu déféquer… à part ça, on faisait un peu de toilette, mais on ne savait jamais si on avait le temps, et puis, … à quoi bon !
A l’arrivée à Toulouse, ils sont logés dans un lycée. Ils iront au cinéma pour passer le temps. C’est là que Jules rencontrera un nivellois qui a vu le clocher de la collégiale s’effondrer.
Le 28 mai, ils sont encore à Toulouse. Ils prennent un train pour Condom, dans le Gers. Les français embauchaient pour divers travaux. Il fallait remplacer les hommes partis à la guerre. Un patron voulait deux gars. Alfred et Pierre se sont présentés ensemble. Manque de chance, la famille n’était pas aimable. Le travail consistait en activités agricoles : maïs, céréales, gaver les oies, nourrir les dindons, épamprer la vigne : couper les gourmands et les pousses vertes.
La nourriture semblait curieuse : pain sec et une poignée de noisettes non décortiquées, vin à profusion, mais qu’ils coupaient d’eau : c’est plus rafraîchissant. Le sacro-saint goûter de la famille Piret était inconnu, alors, ils allaient chaparder des cerises pour se donner du cœur au ventre. Alfred a eu la diarrhée pendant quinze jours.
Durant tout le séjour, les communications sont coupées. Ils ne peuvent pas donner de leurs nouvelles, et donc en recevoir. Entre eux non plus d’ailleurs parce qu’ils sont dans des fermes isolées. Des gens qui sont rentrés plus tôt raconteront des bobards.
Ils sont revenus dans des wagons à bestiaux. Jules Paesmans était avec eux. Ils reçoivent à Auch une nourriture suspecte, qui provoquera des ennuis intestinaux. Dès que le train s’arrêtait, tous en profitaient pour baisser culotte, alignés en rangs d’oignons.
Arrivés à Bruxelles, ils sont allés à la Place Rouppe prendre le tram qui passe par Braine-l’Alleud et les a déposés à nivelles, en bas de la Trappe, à l’arrêt de l’Hostellerie. Là, la femme d’Arille Prévinaire, un voisin, qui passait par là à vélo les a aperçus et est venue aussitôt annoncer la bonne nouvelle à la ferme. On était le 15 août.
Le mariage de Marie-Madeleine
On était déjà en août, et toujours sans nouvelles des garçons. Or, Marie-Madeleine devait se marier le 20 août : on ne pouvait pas reculer la date, parce qu’Adelson et elle s’étaient déjà engagés pour la reprise de la Ferme de Berlinmont à Fleurus. Les occupants attendaient pour partir, il y avait des vaches à soigner, etc.
Plus la date approchait, plus on ressentait l’absence d’Alfred et Pierre. Aussi, quand on est venu annoncer la nouvelle de leur retour, le 15 août, à peine quelques jours avant, Marie-Madeleine est folle de joie. Elle jette Michelle en l’air, jusqu’au plafond !
Le jour du mariage, les convives bien en forme voient entrer des Allemands. Ceux-ci interrogent : « Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi la fête ? » Ils demandent de la tarte et du café. Tous les jeunes se mettent à crier : « A l’uche ! A l’uche ! », « dehors ! ». Papa Adolphe est inquiet et essaie de les faire taire, mais tous crient de plus belle : « A l’uche ! », « à la porte ! ». Heureusement, les Allemands ont fait ceux qui ne comprenaient pas. Ils étaient pourtant accompagnés par Marcel Mosselman – pas mauvais garçon, mais opportuniste -. On leur a quand même donné un morceau et une tasse.
Récit d’Alfred Piret
Complété par Odile Piret.