1940, François Meurs « en campagne »

François Meurs a eu 21 ans en plein pendant la campagne des 18 jours, le 21 mai 1940. Lorsque l’Allemagne a envahi la Belgique, il faisait son service militaire.

Le coup de fusil

Bien que caserné à la Caserne Léopold de Namur, il était cantonné à Leuze-Longchamps et Rhisnes au moment de l’offensive. Il était affecté au transport des munitions avec des fourgons tirés par des chevaux. Il devait les conduire pour les premières lignes. En fait, il n’allait pas jusque là : il s’arrêtait à une certaine distance, et d’autres venaient prendre livraison du fourgon. 

Quand on les a fait battre en retraite, le timon de son char s’est cassé, et il est resté en arrière avec un copain pour le réparer. Ils ont mis plusieurs jours avant de rejoindre les autres. D’autant plus qu’ils se sont perdus. A un moment donné, ils ont voulu faire demi-tour, et le copain est allé s’embourber dans un champ. Ils ont mis du temps pour le dégager. Finalement, après divers ennuis, ils ont quand même rejoint leur peloton qui se dirigeait vers la Flandre.

En traversant une ville sous les bombardements, ils sont allés s’abriter dans une cave. Pour passer le temps, et se donner du courage, ils ont sifflé quelques bouteilles. Pour se ravitailler, ils sont allés se servir dans un magasin, sans oublier d’emporter quelques bouteilles d’alcool. C’est ainsi qu’il a pris une cuite du tonnerre et qu’il s’est endormi en conduisant. Il s’est retrouvé dans un bois, bloqué devant un arbre ? Les chevaux étaient passés chacun de leur côté, et il ne pouvait plus faire la manœuvre. Le chef de peloton a du prendre les brides pendant qu’il cuvait dans le fourgon, couché sur les munitions. Le réveil a été dur, mais ça n’a pas tardé avant qu’il doive reprendre les rênes !

Une nuit qu’il était de garde – ils étaient cachés dans un bois -, il a pris peur en entendant et en voyant le feuillage bouger, il a voulu tirer un coup de feu, mais il a constaté que son arme était enrayée ! Il est allé la montrer à l’armurier qui la lui a réparée, et qui lui a dit de vérifier. Il a donc tiré en l’air, un seul coup, le seul de toute sa campagne…

En Flandre, ils ont attendu. Rien ne s’est passé jusqu’à la reddition. On les a parqués dans une grande prairie pour leur faire remettre leurs armes. Il a reçu un ordre de libération, avec le cachet nécessaire : il pouvait rentrer à la maison (1).

Il a profité d’un camion qui revenait vers Liège. Arrivé à La Louvière, en pays de connaissance, et pour être sûr de ne pas être embarqué jusqu’en Allemagne, il a fait stopper le camion. Il a pris le tram jusqu’à Fayt-lez-Manage où il est allé demander un vélo au fermier (2) qui avait repris la fermette familiale qu’ils venaient de quitter en 1939. Il est rentré rapidement à Obaix.

 

La lettre du 10 mai

On conserve dans les archives de famille la lettre que François a écrite le premier jour de la guerre, le 10 mai. Rien d’extraordinaire, rien de littéraire, mais ce document sur le vif est plein d’émotion et donne des informations sur l’état d’esprit qui régnait parmi les jeunes soldats.

 

Chère maman et Paul

Comment avez-vous supporté la nouvelle que renferme ce mot terrible, la guerre. On ne voulait pas y croire, et la voici. Où en sommes-nous à l’heure présente ? On les arrête à Liège et on les tiendra. Faut-il s’en alarmer ? Non ! Nous subirons des revers, c’est sûr, mais nous gagnerons. Il n’est pas possible qu’un pays puisse faire la nicke à tant d’autres. Hitler se débat, il veut frapper dur, mais il ne vaincra pas car ils ne peuvent gagner et nous saurons les en empêcher. De fausses nouvelles circuleront. Peut-être les reverrez-vous encore, ces sales boches. Mais on les chassera et il vous faudra prier pour que ce jour soit bientôt et alors nous pourrons nous retrouver tous ensemble avec l’aide de Dieu.

Paul est-il rappelé ? On n’a pas encore dit le mot mobilisation générale, mais il est probable qu’il faut s’y attendre, c’est fatal. Alors, si Paul part, quel cruel coup pour toi, chère maman. Mais tu sauras le supporter et être vaillante. Il faut que tu le sois pour que nous puissions faire notre devoir et jusqu’au bout. Pour le moment, le moral est bon. Un avion allemand a survolé ce matin avant notre départ et la DTCA l’a touché. Nous avons très bien vu l’avion accuser le coup : il tanguait et il est sur qu’il n’a pu rejoindre sa base.

Notre section a quitté son cantonnement vers 7h du matin pour gagner ses positions, où nous sommes arrivés à midi. Nous sommes camouflés dans un bois et nous sommes prêts tous à supporter vaillamment notre vie de nomades. Il y aura des coups durs, mais nous saurons vaincre. Prie bien pour ton François et pour Paul, il y a des moments où ils en auront tant besoin. N’oublie pas de leur écrire souvent. Marius (3) vous aidera sûrement beaucoup car il ne vous abandonnera pas dans ces moments difficiles. Ne te tracasse pas trop pour la ferme, nous nous en occuperons plus tard. Surtout, que la question argent ne te poursuive pas. Il ne faut pas songer à l’argent sinon que pour toi vivre jusqu’à notre retour.

J’ai grand espoir que ma lettre t’arrivera bien vite et qu’elle trouvera encore Paul à la maison. Hubert, malgré son mal, se fera également un plaisir de venir t’aider pour cette nouvelle épreuve. A eux deux Marius, ils doivent savoir te faire conserver bon moral. Il me semble que je te vois d’ici. Tu es aux cent coups. Tu te demandes ce que je vais devenir, où je suis, ce que tu vas faire toute seule si Paul doit partir. Il ne faut rien faire, il faut vivre bien doucement et leur montrer dans tes lettres que tu nous aimes bien et que constamment tu seras près de nous en pensée. Il faut savoir espérer et avoir confiance et savoir faire la part de Dieu dans ce qui arrivera.

Mes logeurs m’ont toujours fait très bien et j’avais bien un peu de peine de les quitter ce matin. Ils m’ont fait des tartines et mis quelques morceaux de tartes pour moi manger en route. Ce n’est pas encore la Pentecôte, mais tu vois que j’en ai déjà profité un peu.

Le colis est arrivé hier et j’ai reçu également le montant du chèque et vos dernières nouvelles. Je suis très content d’apprendre que l’on arrive aux betteraves et que tout a bien marché malgré le retard qu’on avait. Alida aura peut-être eu son poulain depuis que tu m’as écrit et les vaches vêleront également bientôt. Ça a été mal, il y a eu mieux. Ça va encore aller mal. Il n’y a aucune raison pour que cela n’aille que mieux après.

Les Allemands commencent encore leur guerre de lâches en déguisant leurs avions en avions belges : ils ont failli nous jouer un mauvais tour en tachant de mitrailler quelques hommes que nous devions ravitailler et qui étaient visibles. Pas encore de victimes, mais maintenant, on sait quoi. La consigne est de se méfier de tout. On se méfiera.

La lettre du 22 mai

 

En Campagne, le 22-5-40

Bien chère maman,

 

Nous sommes quand même un peu plus tranquilles maintenant, mais nous l’avons eu dur pendant 10 jours. Les 4 premiers, toujours en route pour ravitailler les troupes. Le 5e, on nous remplace, que nous étions exténués. Ce jour-là, au lieu du repos, c’est le repli stratégique pour éviter d’être encerclés. Nous partons le matin. A peine 1 km de fait et me voilà en panne avec mon fourgon. On chipote, pour finir on décharge, puis recharge, et on part. Nous ne retrouverons les autres que le soir, après avoir passé par Chatelet, Charleroi, Fontaine-l’Evêque, et l’on couche à Mont-Ste-Aldegonde. On dort quelques heures et le lendemain on passe par Carnières, Mariemont, Haine-St-Pierre, La Louvière, Houdeng, Le Roeulx, Soignies, pour venir finir dans un petit village sentant déjà le flamand. En passant par Houdeng, j’ai fait quelques mots pour tâcher de te toucher par Laura Deschamps (4), j’espère que tu l’as reçu.

Le lendemain, on repart pour arriver en Flandre avec une étape de 90 km au moins dans le cul, bien fatigué, mais un excellent moral, on avait pu être sauvé. En cours de route, nous fûmes tranquilles, les avions ennemis avaient de l’ouvrage ailleurs. J’ai vu Soignies brûler et c’est bien triste de songer à toutes ces villes qui brûlent pour le plaisir d’un seul homme. Fayt a été bombardé aussi, ainsi que les alentours. Ah les salots, ce que je maudissais en passant dans notre région. Nivelles n’a pas échappé, mais j’espère qu’Obaix a été épargné.

Jusque maintenant, je n’ai pas encore trop à me plaindre de la guerre. J’ai toujours su me nourrir suffisamment et la santé reste excellente à part un petit mal de dents sournois.

De Paul, je n’ai plus de nouvelles depuis son départ, mais je suis content qu’il ne se soit pas trouvé à Liège avec son régiment, car je crois que très peu ont pu en réchapper.

De l’équipe qui nous a remplacés pour mener les munitions, 4 hommes sont revenus jusqu’à présent, mais on espère les autres sains et saufs, mais égarés à la suite des encombrements de route. J’ai quand même eu de la chance jusqu’à maintenant, car fatigués comme on était, avec des chevaux éreintés et blessés, nous aurions eu fort à faire pour nous sauver ; il ne faut donc pas désespérer puisque la chance me suit un peu.

Dans nos voyages, nous avons toujours pu nous ravitailler en boissons et fumage dans les maisons abandonnées et j’ai encore à fumer pour quelques jours … Ce qu’il y avait de réconfortant pendant ces voyages, c’était de rencontrer les Français et les Anglais avec leur bonjour de <mot illisible>.

Et toi, maman, comment as-tu pu tenir le coup ? Bien, j’espère. Marius est toujours là avec Hubert, Adolphe. Quant à notre nouvel ami, n’a-t-il pas du quitter pour rejoindre une unité ou l’autre ? Quand même, vous pouvez suffire au plus strict nécessaire. Savez-vous vous ravitailler suffisamment ? A-t-on repris les chevaux ? Alida a-t-elle pouliné ? Fanny s’avance-t-elle ? Et les vaches qui devaient encore vêler ?

Paul sait-il vous donner de ses nouvelles ? Que devient parrain ? et les cousins et cousines de Baulers ? (5). La poste ne fonctionne pas, je n’ai de nouvelles de personne. J’ai cependant reçu un chèque du 10, mais il faut attendre pour le toucher, ce qui ne me dérange pas : j’en ai encore assez pour le moment.

De meilleures nouvelles circulent. Namur et Bruxelles repris ? Est-ce vrai ? Nous l’espérons, car nous avions un ordre de repli, et maintenant on reste. Allons ! Jusqu’à présent ça va, espérons que ça continuera ? Vive la Belgique. Avec la France et l’Angleterre, on les aura.

 

Bon baiser, je pense à toi.

Amitié à tous les amis.

François

 

Note :

  1. Cet ordre de libération se trouve encore dans les archives de famille.
  2. Remy Haelterman chez qui la famille allait rendre visite à la Toussaint chaque année, et nous accueillait très amicalement.
  3. Un domestique de Fayt qui a suivi l’installation de la famille à Obaix.
  4. Les Deschamps étaient des amis de Bellecourt.
  5. Il s’agit de la famille Courtain-Neuwels, d’Alzémont. Jules Courtain était le parrain de François.