Guifré le velu

Cet été, j’ai passé une semaine à Ripoll, petite ville catalane, au nord de Barcelone, allongée paresseusement dans une vallée des Pyrénées, non loin d’Andorre. Lors de nos balades dans la ville ou dans les petites villes des alentours, partout je trouvais des traces d’un certain “Guifré el pelos”, ou “el pilos”, en français “Guifré ou Wilfred le velu”, comte de Catalogne : une rue à son nom, un sarcophage dans l’église de l’ancienne abbaye, un géant de carnaval portant son nom, l’abbaye de Sant Joan de les Abadesses dont sa fille Emma fut la première abbesse, avec une place du marché portant le nom de Guifré … Sans compter la fête médiévale de Ripoll, avec ses échoppes un peu partout, où l’on trouvait des écus, des boucliers armoriés, des blasons, des épées en bois, des cottes de mailles et des heaumes, et des figurines de chevaliers, dont le fameux Guifré.

Guifré El Pilos
Guifré El Pilos

Mais c’est lorsque j’ai vu une rue dédiée à Berenguer “el vell”, Bérenguer ou Béranger “le vieil” que mon intérêt généalogique s’est mis à fonctionner. Ce personnage fut comte de Barcelonne, lesquels sont de même souche que les comtes de Provence qui figurent parmi nos ancêtres MEURS à plus d’un titre. Il y a des liens aussi avec les familles d’Aragon, de Toulouse, et avec la première maison des Ducs de Bourgogne, bref une belle série d’alliances qui excèdent ma mémoire et ne feraient qu’encombrer la vôtre, c’est pourquoi je ne donne pas ici la filiation que l’on peut trouver sur Wikipedia ou ailleurs.

Je m’attacherai seulement au personnage, Guifré le velu, une personnalité marquante pour l’histoire de la Catalogne, et par ricochet pour celle de France, d’Espagne et d’Angleterre.

 

Le père de la patrie catalane

Son surnom, “el pelos” vient certainement d’une pilosité remarquable. Pour l’anecdote, j’ai passé autrefois à plusieurs reprises plusieurs semaines à Salamanca, et dans la bande des jeunes amis, il y avait deux garçons portant le prénom d’Angel. Pour les distinguer, il y avait “Angel el pelos”, qui avait de longs cheveux noirs et une barbe fournie, et “Angel el motos”, propriétaire d’une grosse moto.

Guifré est le fils de Sunifred 1er de Barcelone. Il fut comte d’Urgell et de Cerdagne de l’an 870 à l’an 897, date de sa mort. Il fut nommé comte de Barcelone au concile de Troyes, en 878. Louis le Bègue (descendant direct de Charlemagne) avait en effet destitué Bernat 1er, comte de Barcelone. Guifré prit alors le titre de Comte de Barcelone et de Gérone, tandis que son frère Miron 1er prenait le titre de Comte du Roussillon.

Il épousa Gunédilde de Flandres, dont il eut plusieurs enfants, parmi lesquels :

  1. Miron II le Jeune, futur comte de Cerdagne et d’Urgell
  2. Borell 1er qui sera comte de Barcelonne et mourra sans descendance
  3. Sunyer 1er qui succèdera à son frère Borell comme comte de Barcelonne, de Gérone (Girona) et d’Ausonne (Osona).
  4. Radulfo, qui sera élevé au monastère de Sainte Marie de Ripoll, dont il deviendra plus tard Abbé, avant de devenir évêque d’Urgell.
  5. Emma, qui sera abbesse de Sant Joan

 

Parmi ses réalisation importantes, il y a avant tout le repeuplement et le développement des vallées de Ripoll, d’Urgell et de Cerdagne, ainsi que de la plaine de Vic. La région avait été dépeuplée lors de la révolte des Gots et des Hispaniques qui s’étaient rebellés, en 826-827 contre l’occupation franque. La répression fut violente, les villages dépeuplés, les fermes existant depuis la période romaine furent rasées. La grande razia opérée par les musulmans en 827 avait achevé la ruine de la région.

Pour appuyer sa politique, le comte Guifré crée des abbayes : Santa Maria de Ripoll, commencée en 880 et consacrée en 888, qui fut un centre intellectuel remarquable, et qui est à l’origine du célèbre monastère du Montserrat ; Sant Joan de les Abadesses (885), dont sa fille Emma fut abbesse durant plus de 40 ans, active elle aussi dans le repeuplement des vallées des alentours. Vers 885, il crée le comté d’Ausonne, et il rétablit l’évêché sur les territoires reconquis sur les musulmans.

Guifré meurt le 11 août 897, au siège de Lerida, en combattant le chef musulman Lubb ibn Muhammad, appartenant à une famille importante de Saragosse. Ce dernier voulait contrer l’expansion de la Catalogne suite au repeuplement et au développement économique de la région, et ne manquait pas d’ambitions et de rapacité, même au détriment des autres royaumes arabes.

La “légende” fera de Guifré le “Père de la patrie” catalane. Une statue à sa mémoire a été érigée à Madrid en 1750-53. S’il y a sans doute quelque exagération teintée de chauvinisme indépendantiste, on sent qu’il s’agit là d’une personnalité forte, qui a su tirer profit des faiblesses de l’empire franc et des dissensions entre les fils de Charlemagne pour se constituer un domaine personnel, y menant une politique qui attire les populations fatiguées de l’instabilité de leur région d’origine. Il mènera également une politique de fortification et sécurisation du pays contre les musulmans, la catalogne devenant une “marche” frontière avec le califat de Cordoue.

Si vous passez à proximité, sachez que les abbayes de Ripoll et la petite ville historique, ainsi que Sant Joan de les Abadesses valent la peine d’une visite. Le cloître du monastère de Sant Joan est d’une belle élégance. Et si vous y êtes un dimanche, attardez-vous sur la place principale aux environs de 18 heures : vous y verrez les gens attablés aux nombreuses terrasses se lever et se mettre spontanément à danser dans la rue la sardane en cercles de 10, 25 ou 50 personnes !

Jean-François

Cloitre de Ripoll
Cloître de Ripoll

Vieux Pont de 'Sant Joan'
Vieux pont de Sant Joan