Pour l’amitié d’André


J’ai contacté André Querton en 1988, pour mes recherches de généalogie, Je ne me doutais pas qu’une amitié allait surgir de là. J’ai en effet pris contact avec des dizaines de personnes, mais une seule amitié est née de ces rencontres. Il m’a téléphoné en avril, cela fait donc 20 ans, en m’invitant chez lui.

J’ai été un peu surpris de cette amitié : avec la différence d’âge, 14 ans, j’avais l’impression d’être un peu jeunet. Je ressentais d’autant plus la gratuité de cette amitié, car il me semble qu’il m’apportait plus que je ne pouvais lui rendre. Une amitié un peu protectrice… Une de ses belles-filles m’a confirmé qu’il avait cet aspect volontiers protecteur. Certes, il avait une estime pour le prêtre que je suis, et au départ, j’avais une longueur d’avance dans les recherches généalogiques, lesquelles l’intéressaient. Mais dans ce domaine, je fus rapidement dépassé : une fois à la retraite, il s’est lancé à fond avec compétence et acharnement dans les recherches, et c’est lui qui m’a apporté renseignements et matériaux précieux pour remonter dans le temps, notamment par la généalogie Papeleux et de Bourgogne. .

Le rythme de nos rencontres était espacé : moins d’une fois l’an. Mais chaque rencontre a été un moment agréable et intense. Nous nous retrouvions comme si nous nous étions quittés la veille. Il était totalement là pour vous, avec une grande qualité de présence. C’est pour moi l’essence de l’amitié : il n’est pas nécessaire de se voir souvent, mais chaque rencontre abolit le temps. On est toujours au présent. Son épouse Monique était complice de cette amitié, avec un véritable sens de l’accueil.

Bien sûr, nous parlions de généalogie, et dans nos conversations, un personnage revenait souvent, qu’il avait pris à cœur : sa grand-mère Alice Meurs, orpheline à 2 ans, mariée à 18 ans avec un mari dont on soupçonne qu’il ne l’a pas rendue heureuse, morte à 23 ans laissant deux orphelins qui ont été écartés de la vie de famille. André avait repris le portrait de sa grand-mère qu’il avait toujours vu au mur de la chambre de son père, et il avait placé ce portrait dans sa propre chambre. Ses enfants connaissent tous ce personnage.

Mais nous parlions surtout de sa famille, qui comptait le plus pour lui. Ses soucis et ses fiertés avec ses enfants, ses joies lumineuses avec ses petits-enfants. Après cela, nous parlions aussi de littérature, de problèmes de société.

Il aimait l’Histoire, comme me l’a confirmé son fils Vincent. Il était attaché à la culture classique, heureux de ses études au Collège Saint-Vincent de Soignies, et, sans être enfermé dans un passéisme inutile, il se situait dans la lignée des humanistes. Assis dans son fauteuil, il tenait les rênes de la conversation, avec un petit air de Montaigne affable et pacifique… ce qui ne pouvait cacher un tempérament passionné, des convictions fortes qu’il n’était pas prêt de lâcher. Notamment en ce qui concerne les valeurs familiales traditionnelles. Du reste, il était ouvert au monde moderne, à ses chances, aux attraits de la nouveauté, adapté à ses exigences de professionnalisme et de performance (il n’aurait pu réaliser sa carrière sans cela !), capable de s’adapter aux situations nouvelles. Une formule m’est venue à l’esprit, « un moderne déguisé en ancien », ce qui est sans doute approximatif, je ne le connaissais évidemment pas sous tous ses aspects. En tout cas, un alliage riche et contrasté de goût du passé et d’exigence d’être tourné vers le futur sans vaine nostalgie.

Il avait le souci du service et le goût du partage. Partage de ses découvertes en généalogie, ce qui n’est pas toujours le jeu des chercheurs souvent jaloux. Mais surtout rendre des petits services, fidèlement, comme de collecter des revues pour les personnes handicapées, conduire l’abbé Jous d’Ecaussinnes aux archives de Mons, et tout ce dont il ne parlait pas par pudeur.

Lors de la célébration des funérailles, ses enfants avaient choisi de faire écouter « La Quête », extraite de « l’Homme de la Mancha ». Beaucoup ont reconnu son côté donquichottesque, prêt à se battre à contre-courant de la société pour son idéal. Mais il y avait aussi une autre ressemblance avec Brel : André tenait à être le héros de sa vie. Son fils Pierre-Yves a souligné lui aussi dans son témoignage son aspect « chef d’orchestre » qui mène sa famille. Il se posait comme le capitaine attentif à tout l’équipage.

On a beaucoup souligné aussi son humour tendre avec ses petits enfants, qu’il affublait de noms de son cru : cornichon à pédales, tante Xitine, Boule, … Pour eux, il était le « Papou », toujours attentif, encourageant, parfois exigeant.

Il a affronté sa longue maladie avec cran et beaucoup de dignité. Il disait qu’il n’avait pas peur de la mort. Son souci allait vers ceux qui restaient. En août dernier, nous nous étions retrouvés pour un dîner avec d’autres amis. Il m’a demandé si je voulais bien célébrer ses funérailles. Cette demande m’a beaucoup touché. On ne peut faire ce cadeau exigeant qu’à l’intérieur d’une belle confiance et comme un signe d’amitié.

Adieu André, et merci pour ces temps forts.

Jean-François Meurs