Si bonne Tante Colette

Évocation de Colette Croône et de la ferme de La Loge.

Dans sa lettre du 23 mars 1843 à sa filleule Marie-Louise Piret, le père Albéric, Pierre Dubois lui annonce qu’il ne pourra pas célébrer son mariage : « Non, pas ça, pas ça, n’est-ce pas père Albéric », a répondu le Père Abbé de la Trappe de Saint-Sixte à Westvleteren. Les religieux, à une époque qui n’est guère si lointaine, n’étaient pas autorisés à prendre part aux fêtes de mariage…
Mais, à cette occasion, il laisse courir nostalgiquement sa plume, et il évoque pour nous sa « Tante Colette » et les Piret de la ferme de la Loge…

… Quoiqu’il en soit, le 28 avril je resterai ici, je dirai la messe pour vous deux, je penserai à toute la famille. Pour toi, Marie-Louise, le chemin est tout tracé, tu n’as qu’à regarder ta famille, tu y trouveras les exemples bien vivants de bons chrétiens, en tout ; de toute notre grande famille, ils sont parmi ceux que j’estimais et aimais le plus. Je ne sais ce qu’en pensera cousine Julia mais je lui ai toujours trouvé une ressemblance avec Tante Colette, je n’oublierai jamais Tante Colette, elle reste un des meilleurs souvenirs de mon enfance.

Nous l’aimions beaucoup, elle était si bonne et nous accueillait avec tant de douceur. C’est la première fois que j’ai vraiment pleuré… Quand elle est morte, Mr le Président du petit séminaire m’avait donné la permission d’aller à ses funérailles. Je suis parti tout de suite et direct jusqu’à Nivelles et La Loge et suis encore arrivé à temps pour voir Tante. C’est le premier mort que j’ai vu, et j’avais peur des morts, terriblement peur, mais de notre bonne Tante qui dormait pour toujours, un petit filet de sang perlant aux narines, je n’eus pas peur du tout. Puis, aux funérailles à l’Eglise de Monstreux, je mouillai tout mon mouchoir, c’était quelque chose pour moi enfant que la mort de Tante, si jeune, alors que le deuil n’avait pas encore fauché chez nous.

Elle et l’oncle Adolphe c’était mes préférés. Dans la suite, la Loge ne fut plus la même, il y avait toujours quelque chose de triste. Ah ! la vieille ferme dans son creux de prairies avec une famille de travailleurs qui avaient tous de bonnes grosses figures comme l’Oncle Alfred, qui riaient volontiers, et parmi eux la plus jeune, la plus gentille, Louisa, celle qui était partie pour le ciel quand je revins de la guerre, celle dont on t’a donné le nom. Elle, c’était la gâtée. J’ai encore sa voix dans l’oreille, la même voix que cousine Maria, tandis qu’Odile a le ton de voix de ses frères. Cousin Louis, c’était la figure de l’oncle Alfred, mais ces voix, ces voix de Piret, je les aurai toujours dans l’oreille. La belle famille que j’aurais revue si volontiers après tant et tant d’années, puisse-t-elle se continuer dans les traditions chrétiennes !

Le Père Albéric, Pierre Dubois, est fils d’Odile Lavianne, demi-sœur de Colette Croône. En effet, après le décès de Maximilien Croône, Octavie Holoffe s’était remariée avec François Lavianne, dont elle eut six enfants : Célina, Maria, Jules, Odile (épouse de Jules Dubois, maman de Pierre Dubois), Adolphe et Elisa.

Note : Les tombes de Colette Croône et de Louisa Piret, avec de très jolies croix, existent toujours dans le cimetière de Monstreux, à droite quand on se dirige vers l’entrée de l’église. Mais, curieusement, on ne voit pas celle d’Alfred Piret.


Jean-François