Le nom de famille Tamigneaux

Quelques mots concernant les graphies nombreuses de ce patronyme, sa signification incertaine, et son aire de répartition géographique.

Les différentes graphies

Les variantes graphiques sont très nombreuses. La forme la plus ancienne est TAMINIAL, d’après la citation de Goffin dans la généalogie qu’il a publiée dans les « Annales de la Société d’Archéologie de Nivelles » tome 18. Il cite « Mathieu Taminial qui testa à Nivelles le 18 janvier 1421 ». J’ignore pourquoi Jean Germain et Jules Herbillon ne reprennent pas cette citation, ainsi que la suivante ci-dessous, dans leur « Dictionnaire des noms de famille en Belgique Romane » édité par le Crédit Communal en 1996. Serait-ce que cette forme n’est pas fiable selon eux ?

Goffin cite ensuite Mathieu TAMINIAUL, prêtre, et son frère Jehan, qui donnent en arrentement la ferme du Pont-de-Pierre (à Nivelles), dans un acte du 25 décembre 1458.

La troisième forme, souvent rencontrée par les chercheurs généalogistes, est TAMINEAU : « Jaspart Tamineau prit en arrentement, le 13 juillet 1498 (…) le fief de la Bruyère à Ronquières » (Goffin, page 206). Cette forme graphique s’est maintenue longtemps. Approximativement, il faut prononcer « eau » non comme un seul son, mais comme une diphtongue, où l’on entend séparément le « e », le « a » et le « ou ». La prononciation évolue tout doucement vers la mouillure actuelle : « gn ». La graphie n’étant pas fixe, l’interprétation écrite des sons par le curé ou les hommes de loi est allée dans plusieurs sens. Les différences ne signifient donc pas qu’il s’agit de familles différentes : toutes les graphies proviennent d’une même souche.

Une petite illustration des variations se produisant pour un même personnage, et ce, à une époque relativement récente, où l’on suppose (mais en réalité, il n’en est rien) que les secrétaires communaux sont des as de l’orthographe. Il s’agit de Remi Tamigneaux, de Nivelles. Sur son acte de mariage, le 17 novembre 1830, et sur son acte de décès le 21 décembre 1862, son nom est écrit « Tameigneau », avec un « i » dégagé devant le « g ». Il est probable qu’il prononçait son nom avec un accent traînant, comme je l’ai encore connu et pratiqué, insistant sur le « ei ». Dans les actes de naissance de ses enfants, on trouve : « Tamigneaux » pour Odile (1832), Charlotte (1842), Jean-Joseph (1837), Romaine (1835) et Flore (1840) ; on a « Tamigneau », sans « x », pour Remi (1830), mais sur son acte de décès, on trouve « Taminiau » (1835). Le secrétaire communal écrit encore « Tamigniau » pour Elisabeth (1834) et « Tamigniaux », avec « x », pour Marie-Thérèse. Il n’y a pas que les variations d’écriture : Remi Tamigneaux a négligé d’inscrire deux de ses enfants à l’Etat Civil, et ce n’est qu’en 1863, lors d’un jugement, qu’il est ordonné de procéder à l’inscription de Jean-Joseph et Flore Joséphine… Cette inscription, qui précise la date de naissance se fait sur la foi des actes de baptême à la paroisse Sainte-Gertrude. Cela se passait il y a à peine plus de 150 ans…

Il faut postuler au départ la forme latine « Taminellus » (Tamin + suffixe –ellus), qui évolue vers « tamineal » avec un « l » gras (le son passe par les côtés de la langue), et débouche sur « taminial », et plus souvent « taminéau » (ce sera la première graphie « tamineau ») et puis « taminiau ».

On trouve donc : TAMINEAU, TAMINIAU(X), TAMIGNIAU(X), TAMIGNEAU(X), TAMINIAU(X), mais aussi TAMINIA (par exemple à Obaix). On reconnaît les deux options, soit « -iaux » du picard, soit « -ia » du wallon namurois. Comparez : capiau (picard), chapeau (français), tchapia (Nivelles et Namur), tchapè (Liège).

Signification

1°. Dans son supplément au dictionnaire des noms et prénoms de France de Dauzat (le spécialiste pour la France), Marie-Thérèse Morlet, spécialiste des patronymes du Nord de la France (Flandre et Picardie) interprétait « Taminiaux » comme « originaire de Tamines », et faisait remarquer qu’on trouvait ce patronyme en plus grand nombre dans un rayon autour de cette petite ville. Elle ne reprend plus cette interprétation dans son récent dictionnaire, et j’ignore pourquoi, car cette explication me semblait la mieux fondée. Mais je n’ai pas vérifié l’existence de ce patronyme surtout autour de Tamines. Il faut dire qu’il a été mieux répandu autour de Nivelles que dans le namurois.

2°. Carnoy, un des premiers spécialistes de la patronymie belge, émettait comme hypothèse une formation à partir de « tamin », pour étamine. Notez que Dauzat faisait lui aussi dériver « Taminiaux » de « tamin », mais pour lui, ce mot est une variante de « tamis », et non d’étamine ; et il renvoie au patronyme suivant, « Tamisier », fabriquant ou marchand de « tamis ».

3°. Jean Germain, à la suite de Jules Herbillon, exclut un dérivé du wallon tamène, « étamine », et pense à un dérivé en –ellu du wallon liégeois et namurois tamon, « timon ». Voir J. Herbillon, Les noms de familles Sanspoux, Taminiaux, etc. dans DW (les Dialectes de Wallonie) n° 7, 1979, pp. 23-30. Je n’ai pas eu l’occasion d’examiner cet article, où Jules Herbillon nous dit sans doute pourquoi il faut exclure un dérivé de « tamène », et pourquoi il ne retient pas non plus un dérivé de la ville de Tamines près de Namur, alors que le nom de famille « Tamine, Tamines » est bien présent à Nivelles !?

Les lieux

Les plus anciennes attestations répertoriées par René Goffin concernent une lignée de Nivelles : Mathieu Taminial en 1421, Mathieu et Jehan Taminiaul en 1458, ainsi que leurs descendants.

Goffin étudie ensuite la lignée de Jaspart Tamineau, qui apparaît pour la première fois en 1498. Ce Jaspart prend en arrentement le fief de la Bruyère à Ronquières, puis le cède en 1502, « semble-t-il pour devenir propriétaire de la cense de Renissart » à Arquennes, à la limite de Petit-Roeulx et Rosseignies (Obaix).

A partir de là, le nom fait rapidement tache d’huile et se répand tout autour de Nivelles et de Ronquières : Braine-le-Comte, Baulers, Ittre, Virginal-Samme, Bornival, Monstreux, Arquennes, Seneffe, Obaix, Buzet, Feluy, Ecaussinnes, etc.

Le « Dictionnaire des noms de famille en Belgique Romane » (Crédit Communal 1996) ne donne pas la répartition actuelle des porteurs du nom Tamigneaux ou Tamigniau par provinces, mais seulement de ceux qui portent le nom de Taminiau et Taminiaux… Comme suit :

Taminiau : Anvers 2, Bruxelles 24, Brabant flamand 8, Brabant wallon 76, Flandre occidentale 0, Flandre orientale 0, Hainaut 123, Liège 8, Limbourg 0, Luxembourg 1, Namur 22, Total en Belgique 264.

Taminiaux : 0 pour toutes les provinces flamandes, Bruxelles 25, Brabant flamand 4, Brabant wallon 29, Hainaut 112, Liège 6, Luxembourg 16, Namur 54, Total pour la Belgique 246.

Vers 1550-1570, Plusieurs « Tamineau / Taminiau(x) » ont fui aux Pays-Bas parce qu’ils s’étaient convertis au protestantisme. Ils faisaient partie de l’Eglise wallone des Pays Bas, qui avait des communautés à Amsterdam, Leyden, etc. Le nom de famille y subsiste toujours.

Folklore

Je tiens de Monsieur Graux, chercheur de Feluy, Nivelles et environs, qu’à Seneffe, les Taminiau ont mauvaise réputation. Ce seraient eux, en effet, qui auraient tué Saint Feuillen et ses compagnons, et les auraient ensuite dissimulés sous un fumier. Les habitants de Seneffe ont une comptine que je reprends de mémoire, sans garantir le texte exact :

Quote:

Taminia
Race dè vias (race de veaux)
Z’ont tué Saint Feuillien
L’ont jeté dans le purin…

Rappelons l’histoire qui fait partie de la légende de Sainte Gertrude de Nivelles : Feuillen, moine de l’abbaye de Fosses, est venu rendre visite à Gertrude. Il repart vers Fosses avec ses compagnons. En arrivant à la lisière de la forêt du Roeulx, les voyageurs se sont égarés et aboutissent dans une ferme où ils sont sauvagement assassinés pendant leur sommeil. Feuillen a la tête tranchée et les corps sont jetés dans une fosse creusée en hâte dans le sol de la porcherie. Plusieurs semaines se passent, les moines de Fosses s’inquiètent. Gertrude, au cours d’un jeûne, a été avertie par un ange de l’assassinat. Elle monte une expédition, sur les indications de l’ange. Arrivés sur les lieux du drame, une colonne de feu désigne l’endroit où se trouvent les corps. Ils sont ramenés à Nivelles pour y être honorés. Le corps de Feuillen sera finalement ramené à Fosses pour y être enterré.

Gertrude ayant vécu de 626 (environ) à 659, associer les Tamineau à ce forfait relève évidemment du folklore (mais on peut se demander l’origine de cette réputation !) ; à cette époque, les noms de famille que l’on se transmet n’existaient pas encore !

Métiers

La plupart des Tamineau qui figurent dans notre généalogie étaient des gens de la terre, cultivateurs, propriétaires de censes. Depuis Loys Tamineau et ses descendants, propriétaires de la cense de la Petite-Corette à Ronquières, jusqu’aux Tamigneaux de Nivelles liés à la Cense de Spilmont et à la Petite Cense de Nivelles, ainsi qu’aux Tamigniau de Bornival, Arquennes et Petit-Roeulx, en passant par Jehan Tamineau de Bornival, Michel Tamineau de Ittre, etc.

Beaucoup d’entre eux furent meuniers. Goffin cite Jehan Tamineau meunier à Ronquières depuis 1585, ainsi que François. Notre ancêtre Denis Tamineau a exploité le moulin qui se trouve dans le centre de Ronquières, non loin de l’Eglise. C’est le moulin banal, et donc, Denis est l’homme de confiance du Seigneur du lieu, à savoir le Seigneur d’Aremberg. Il prend aussi en location le moulin à vent de Braine-le-Comte et le moulin à eau situé à l’intérieur de la ville.

Parmi les meuniers du moulin de Combreuil, non loin de là, à la limite d’Henripont et d’Ecaussinnes, on trouve Jehan Taminiau, cité en 1487, un autre Jehan, ou le même, cité en 1520, Englebin Taminiau (1514, 1531-1538), Renaud Taminiau (1530), Amand Thamineau (1540), Christophe Taminiau, cité en 1590 et 1593. Ce dernier est également meunier des moulins et « huisines au vent » de Braine-le-Comte.

Jean-François Meurs